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Jody Lee Potvin-Jones : Le doux inconfort


«Faites que votre tableau soit toujours une ouverture au monde.» (Léonard De Vinci)

Je connais Jody Lee depuis qu’elle est haute comme trois pommes et demie. Elle est d’abord et avant tout celle avec qui ma sœur et moi avons tellement joué, enfants. Mais la Gaspésienne a bien grandi et a fait beaucoup de chemin personnel et professionnel depuis qu’elle a quitté son patelin natal pour poursuivre ses études, voyager et travailler. Partir et se reconstruire, elle connaît cela, elle qui est passée par Gaspé, Québec et l’Australie pour aboutir à Vancouver avant de se poser à Copenhague au Danemark, où elle réside depuis sept ans. L’architecte trentenaire, d’une mère francophone et d’un père anglophone, a été élevée dans un environnement qui amalgamait les deux langues et le background culturel qui venait avec. Était-ce un facteur d'éveil précoce à la diversité? Possible! Ayant étudié en architecture et en étant passionnée, elle m’explique : «Dans la plupart des grands bureaux de l’industrie, il y a souvent deux catégories d’architectes : Ceux de concours, qui se spécialisent en esquisses d’idées de projets schématiques, et ceux qui prennent le contrôle du projet pour le rendre réalisable, dans les étapes de construction, de coordination avec les ingénieurs et auprès des clients directement. Je suis de ceux-là.» Elle m’explique avoir abouti au Danemark en partie pour assouvir une passion qu’elle a en commun avec ses habitants : L’amour du design. «Au Danemark, plus que n’importe où ailleurs, il existe une culture et une appréciation pour le design architectural, et ce, en communion avec l'environnement. Ça m’attirait. Au Canada, et c’est bien dommage, le public ne connait pas le nom de grands architectes canadiens, sauf ceux derrière tous ces scandales des dernières années. Il n’y a pas de fierté. Ici, ceux qui n’ont aucun lien professionnel avec l’architecture connaissent pourtant des architectes, qui sont considérés comme des artistes à part entière.». En me parlant de son travail, j’en comprends qu’il a été le premier critère du choix de pays dans lequel s’établir, le Danemark devenant une option qui allait de soi.

L'architecture d'un parcours


Jody Lee vient d’une petite ville sans accès aux études postsecondaires. Elle était donc déjà préparée depuis l’enfance à devoir s’exiler si elle souhaitait aller à l’université. Aussi, ayant soif de voyage, elle fit une première sortie hors-Canada (outre notre célèbre expédition de trente minutes à Van Buren au Maine quand on était gamines pour acheter de la gomme et de la réglisse) entre son baccalauréat et sa maîtrise pour partir à l’aventure six mois en Australie et au Japon. «J’ai fait ça en grand, pour ma première fois: Je suis partie seule, loin et longtemps!», s’exclame-t-elle en ricanant doucement. À son retour, elle avait traversé tout le Canada d’Est en Ouest pendant trois mois pour aller retrouver son copain de l’époque, établi à Vancouver, où elle allait s’enfarger les pieds pendant deux ans et demi. C’est là qu’elle allait vivre sa réelle première expérience en architecture, sans pour autant rassasier sa faim de découvertes et de dépaysement: «C’était pas assez loin, pas assez différent. J’étais trop confortable avec la langue.» Il faut mettre en contexte la situation réelle : Jody Lee travaillait beaucoup. «L’architecture est un monde basé sur des échéances et c’est un domaine créatif. Rien n’est donc jamais vraiment fini et on travaille de longues heures. À l’époque, je faisais certaines semaines de quatre-vingt-dix heures et j’étais tout le temps fatiguée. Ça sonne peut-être cliché, mais j’avais vraiment l’impression qu’il y avait autre chose ailleurs que dans cette ville dont je n’étais pas amoureuse. C’est comme si tu as des fourmis dans les jambes. Dès que j’avais du temps libre, je rêvais d’un futur départ, des pays où j'aimerais aller.», dit-elle. C’est lors d’une séquence particulièrement difficile où elle était un mois partie en voyage d’affaires à Toronto qu’elle a atteint le fameux point de non-retour et téléphoné à son amoureux pour lui annoncer que c’était NOW or NEVER. Et la décision fut prise deux mois plus tard de quitter.

Du design et du vélo


«Pourquoi le Danemark, outre les raisons liées au travail?», voulus-je savoir. Du Danemark, à part les danoises au pomme, la Carlsberg, les blocs LEGO, les Grands Danois (euh non, ça ne vient même pas de ce pays pour vrai, ce chien), le fromage bleu et Lars Ulrich de Metallica, je ne connaissais que dalle. «On était en fait assez ouverts, mais j’étais curieuse de vivre la culture danoise, non seulement à cause de l’aspect design et d'architecture écologique, mais aussi pour leur culture du vélo. À Vancouver, je me déplaçais à vélo, et ça me plaisait beaucoup. J’avais en tête des images de Copenhague, qui semblait un endroit utopique pour les cyclistes, contrairement à ailleurs où l’on se bat avec les automobilistes.», me raconte-t-elle. Elle m’explique que le portrait réel est d'ailleurs tout à fait comme elle se l’était imaginé. Puis, elle me sort une anecdote en la riant d’avance : «Quand on est arrivé, on avait cette idée un peu romantique d’entrer au pays par voie terrestre, pour voir le pays approcher au loin pour la première fois, entrevoir la silhouette de la ville. Mais à destination, il neigeait beaucoup, ce qui était vraiment rare pour Copenhague. On est débarqué du bus avec nos sacs, il y avait vraiment beaucoup de neige accumulée, mais les gens faisaient du vélo quand même. Partout, ça fonçait dans les bancs de neige à vélo avec leurs bébés, leurs sacs d’épicerie. Ça ressemblait à une caricature, mais tellement plus extrême. Imagine! Les gens sont vraiment beaux ici. Ils étaient bien habillés, blonds, les cheveux longs, les dames en talons hauts avec leur vélo, un peu comme des parfaits qui prenaient des débarques dans la neige. C’est la première image que j’ai eue du pays.». Jody Lee m’explique avoir quitté le Canada sans aucune promesse d’emploi, en bénéficiant d’une visa vacances-voyage permettant de travailler six mois au Danemark sur une période d’un an : «On est arrivé sans rien qui ne nous attendait. On ne savait pas pour combien de temps on partait. En architecture, le timing était assez terrible. On était au beau milieu d’une crise économique et il y avait un taux de chômage très élevé, surtout auprès des architectes. J’ai donc continué pendant un an à travailler comme contractuelle pour mon ancienne entreprise de Vancouver, en impartition. Ce n'était pas l’expérience en design danois que j’espérais, mais c’était mieux que rien.», me précise-t-elle.

Tout quitter


Tout quitter pour une période indéterminée, ça sous-entend se départir de la plupart de ses biens matériels, du moins en règle générale. Jody Lee et son copain avaient décidé d’y aller le tout pour le tout en se débarrassant de tous leurs items et ainsi être vraiment libres, sans attaches matérielles. Ça peut sembler extrême, mais elle m’explique que pour eux, c’était la bonne façon de faire, puisqu’ils avaient peu d’attachements pour leurs choses, outre certains livres et quelques possessions sentimentales. «À Vancouver, on a décidé d’inviter toutes nos connaissances à une fête de pillage viking. On offrait la bière danoise et on avait des petits Post-It pour que nos amis y écrivent des messages, et le but était qu’on nous dise au revoir et que tout le monde parte avec quelque chose en même temps. Du genre : Bye, bon voyage et en passant, je prends tes rideaux. Aussi simple que ça. À la fin, il ne nous restait chacun qu’une valise et un sac à dos.».


Jody Lee me détaille l’image qu’elle a maintenant, après sept ans, de ce Danemark si singulier. Déjà, l’emplacement du pays est fantastique, surtout pour une fille habituée de décrire ses déplacements en heures plutôt qu’en kilométrage. «Je suis encore aujourd’hui toute excitée quand j’ai la chance d’aller à quelque part. Le choix de destinations à moins de trois heures de vol est incroyable, je n’en reviens pas encore!», s’exclame-t-elle (et moi, je pense que ça me prend une heure quarante-cinq pour voler de Mont-Joli à Montréal via Baie-Comeau en Bombardier Dash-8 à hélices et ce, à un coût indécent. Ouais. Jalousie, là.). Déjà, le pays crée une impression de froideur, les Scandinaves étant moins sanguins que les Méditerranéens ou les Québécois. Le peuple danois peut donc sembler fermé, ce qui n’est pas nécessairement le cas. C’est à l’expatrié d’approcher les Danois et non pas à l’inverse. On ne peut pas arriver à quelque part et s’attendre à ce que les gens soient intégrés automatiquement, comme ça, en claquant des doigts. C’est un peu le précepte de la pensée magique, si on pense le contraire. Le Danemark est un petit pays bien densément peuplé : On ne peut pratiquement jamais être dans la nature sans percevoir des traces d’urbanisme. «La nature et les paysages de la maison me manquent. Je n’étais pas super mordue de la nature. On faisait du camping et de la randonnée, mais je ne m’identifiais pas comme amante de la nature à proprement parler. Je découvre en étant ici que je l’étais plus que je le pensais. On ne peut jamais vraiment être en pleine nature, au Danemark.», m’explique-t-elle, nostalgique un brin.

Apprivoiser le silence


Il y a aussi cette facilité qu’ont les Danois à apprivoiser le silence (chuuuuut) sans sentir le besoin de le combler, qui pourrait être un aspect intéressant à comparer avec le Québec. «Chez nous, me raconte-t-elle, on a une manie, qui n’est pas négative, soit dit en passant, mais qui fait partie de la culture : On a un peu peur du silence et on tente de le meubler. Dans un ascenseur, dans une file d’attente à l’épicerie, on parle à tout le monde et pour ne rien dire. Pas beaucoup, là. Je pense que je n’avais jamais remarqué que je parlais à des inconnus avant d’arriver à Copenhague. J’ai vécu des situations ici où j’ai abordé des étrangers, des caissiers, etc., pour leur parler de la pluie et du beau temps et ça les a surpris et déstabilisé. Tu vois qu’ils se demandent pourquoi tu leur parles… et surtout pour ne rien dire d’intéressant.», décrit-elle. «Ils sont bien plus confortables dans le silence que nous, continua-t-elle, et ils n’ont pas besoin de combler des vides en attendant dans une file. De toute ma vie, je n’ai jamais eu l’impression de trop parler… sauf ici. On me regardait comme quelqu’un de dérangeant, de bavard, alors que je suis introvertie et plutôt timide.» Je ne peux faire autrement que d’éclater de rire, puisque Jody Lee n’est pas une fille exubérante, je le sais bien. Elle a une voix douce et rieuse. Pas le profil de l’extrovertie de service, disons. Et je me visualise, moi, celle qui parle tout le temps, en train de chialer contre la dernière bordée de neige avec la caissière au supermarché. Je ris encore plus fort à cette idée.


Tant qu'à aborder les silences, je veux aussi savoir ce qui en est des mots qui les peuplent. La jeune femme m'explique que pour une expatriée non-scandinave, la langue s'avère un défi quotidien. D'une part, toutes les démarches liées à la paperasse administrative (permis de travail, visa...) se font en danois, et Dieu seul sait combien les fameuses règles migratoires changent souvent avec les flirts intermittents entre la droite et la gauche politique du pays. D'autre part, pour bien s'intégrer à la société, se faire un véritable cercle d'amis, comprendre la culture locale, il faut dompter la langue comme un cheval sauvage qu'on tente de monter. Le degré de difficulté est considérable, compte tenu que l'oral et l'écrit détonnent l'un de l'autre. Les mots peuvent être longs, et les lettres n'ont pas la sonorité attendue. Il s'avère donc ardu de lier ce qu'on entend à ce que l'on lit. Même si la plupart des jeunes danois parlent l'anglais (résultante directe d'une accessibilité aux émissions télévisées en langue originale avec sous-titres, contrairement au Québec ou à l'Allemagne qui préconisent systématiquement le doublage), c'est en danois que les groupes d'amis et les collègues discutent. Oui, on peut se débrouiller au quotidien avec l'anglais comme seule langue, mais en n'apprenant pas le danois, les lacunes se font sentir socialement. «C'est fou, car maintenant que je suis plus à l'aise en danois, on m'offre des projets où je suis appelée à parler en anglais. Au début, quand je ne parlais pas la langue locale, on me faisait travailler en danois. C'est le monde inversé. Je devais interrompre des réunions pour récapituler et ainsi m'assurer d'avoir bien compris. C'était important, surtout quand c'est le client qui paie.», me raconte-t-elle. Travailler dans une langue dans laquelle nous sommes à peu près néophyte, quel défi! Seuls les gens qui n'ont pas froid aux yeux savent comment jongler avec ce type de stress. La petite introvertie aux joues roses a plus d'audace qu'on pourrait le croire. Il y a une lionne sous ces airs d'agnelet. Ma mère m'a toujours dit de ne pas me fier aux apparences et de regarder au-delà... Ce dicton s'applique parfaitement ici. «Je suis éligible à ma résidence permanente, mais je dois passer un examen de danois et je ne me sens pas encore tout à fait prête. Cela dit, la résidence me soulagerait, car elle me permettrait de pouvoir rester, advenant que je perde mon emploi. La résidence, ce n'est pas comme demander sa citoyenneté. Je n'en suis pas là. Mais c'est une sécurité de plus.», renchérit-elle.

Un pays introverti


À propos du réseautage, Jody Lee continue sur le thème de l'intériorité, m'expliquant qu'on qualifie souvent le peuple danois de fermé, de froid et de désintéressé au monde: «J'ai rencontré beaucoup de Danois qui ont un ou une partenaire non-danois. Ça montre qu'il y a quand-même une certaine ouverture au monde, même s'il y a peu de diversité culturelle. Ça me met un peu mal à l'aise quand j'entends dire que les Danois sont froids. Si on les compare aux cultures méditerranéennes comme l'Espagne, la France, c'est certain que c'est un peu différent. Les gens ici sont beaucoup plus privés. Mais c'est à nous d'aller vers eux si on veut faire partie de leur cercle. On ne doit pas être passif. Étant moi-même introvertie, j'ai l'impression que je les comprends. J'ai une âme danoise, dans le fond.» Elle me raconte maintenant avoir pratiquement autant d'amis danois que d'amis «expats»: «Parfois, ça fait du bien de nous retrouver entre expatriés. On se comprend, on vit les mêmes choses, on peut rire ensemble sans froisser les locaux, et nous défouler un peu aussi.» J'avoue que de se retrouver «en famille», ça peut faire du bien parfois. Si je compare l'expérience de Jody Lee avec la mienne au Mexique, où je n'avais pas d'autres expatriés dans mon entourage (vraiment personne, là), ça m'aurait bien tenté de ventiler un peu, à l'époque, mais si je le faisais avec d'autres Mexicains, je craignais de les froisser comme des chemises mal repassées (et je me rappelle m'être «pitchée» comme une désespérée sur Stéphanie de Gaspé, appelons-la de même, une fille que je venais de rencontrer par hasard à Ciudad Obregón et qui vivait à quelques heures de ma maison, moi qui n'avait pas fréquenté d'étrangers depuis des lunes.). «On me demande souvent si je suis en couple avec un Danois. C'est quelque chose de très fréquent. La plupart des étrangers ici sont à Copenhague parce qu'ils fréquentent un Danois. Quand je leur dis que non, ils me demandent, un peu traumatisé : Mais qu'est-ce que tu fais ici?», me dit-elle. J'imagine très bien leurs yeux écarquillés, des points d'interrogation en guise de pupilles.

S'établir


«Quand as-tu décidé de t’établir ici pour un bout?», voulus-je savoir. «Au début, on devait revenir au bout d'un an. Après, on s'est mis à repousser l'échéance de six mois en six mois. C’était difficile pour la famille et les amis chez nous, car eux s’accrochaient un peu à cette promesse-là d'un retour prochain, mais je changeais d’idée comme si ça n’impliquait que moi. J'ai réalisé que je ne prévoyais pas revenir à court terme. Je suis bien ici, j’aime mon emploi, je ne suis pas fatiguée d’habituer en Europe. J’aime l’impression de vivre à l’extérieur de mon pays. Le jour où je trouverai ça normal, je voudrai peut-être partir. Même après sept ans, à tous les jours il y a au moins une chose qui me fait rire ou que je trouve bizarre. Ce dépaysement est encore agréable.». Elle me raconte avoir la chance d'avoir une famille disposée à l'encourager depuis le début: «Maman, papa, les amis... Ils ont tous été prompts à m'encourager à poursuivre mes idées de fou. Penses-y, je leur annonce comme ça que je quitte Vancouver pour le Danemark, sans emploi en plus. Quand je leur ai annoncé, j'étais un peu nerveuse, car j'avais l'impression de leur avoir déjà fait subir ça en quittant le Québec pour Vancouver. L'étape attendue était que je revienne m'installer à Montréal, et là, je leur annonçais que le plan était retardé pour une durée indéterminée.» Elle ajoute que si sa famille a été déçue, elle ne le lui a pas fait sentir. «C'est drôle, explique-t-elle, à chaque fois que je sors d'un milieu, mon identité culturelle change un peu. Quand j'ai quitté la Gaspésie pour Québec, mon identité gaspésienne est devenue plus forte. Puis, à Vancouver, c'est mon identité québécoise qui a pris plus de place, car les habitudes sociales étaient différentes. Ensuite, au Danemark, c'est mon identité canadienne qui ressort. Pour les Danois, c'est assez mystérieux, l'idée qu'il existe un endroit au Canada où l'on parle le français. Parfois, de l'information erronée circule, comme par exemple qu'on ne parle pas le vrai français. Au début ça m'insultait. Mais dans le fond, on a des préjugés sur ce qu'on connaît mal, au Danemark comme au Québec.».

Mélasse, beurre d'érable et Clamato


Jody Lee n'a pas toujours eu la vie facile, dans son pays d'accueil. Elle a dû, en plus d'être confrontée aux aléas de l'apprentissage d'une nouvelle culture, faire face à une séparation surprise avec son conjoint de l'époque, lequel avait pris part depuis le tout début à l'aventure européenne. «J'ai eu le réflexe de vouloir rester au Danemark, même si le timing aurait été parfait pour un retour au Québec. Quand je me suis séparée, je suis rentrée en Gaspésie pour des vacances. J'étais sous le choc. Je pensais que cette visite-là allait me servir de boost pour initier un retour au bercail. Mais finalement, ça a fait le contraire. Je me suis rendue compte que ma stabilité, elle est au Danemark, maintenant. Mon travail, ma routine, mes amis... J'ai une vie à moi ici, et elle n'était pas définie par ma relation de couple.», raconte-t-elle avec beaucoup de recul. La séparation étant un changement important au mode de vie, elle ne sentait juste pas le besoin de bousculer toute son existence en plus, changer d'emploi, vivre un déménagement. Depuis lors, Jody Lee a continué d'évoluer. Elle fréquente présentement un expatrié comme elle, un Espagnol travaillant dans son domaine. «Il a de plus gros défis que moi pour s'ajuster au pays. Au Québec, on est habitué aux journées courtes en hiver, au manque de lumière naturelle, qu'il fasse noir tôt, qu'il fasse froid. On sait vivre inconfortablement une partie de l'année», dit-elle en riant de bon cœur. «Lui, le manque de lumière et de ciel bleu, ça l'affecte beaucoup. C'est vraiment physique. Et il y a aussi la nourriture qui est une difficulté. En fait, en Espagne, ils mangent si bien, et ils ont toujours de superbes ingrédients, le jamón, les poissons, les conserves espagnoles... Pour les Italiens, les Espagnols et même les Californiens qui vivent au Danemark et qui sont habitués à manger des fruits frais, à profiter de belles journées ensoleillées... Ils trouvent ça tous dur l'hiver.» Et elle, qu'est-ce qui lui manque du Québec, outre la famille? «La mélasse et le beurre d'érable. Ah! Et aussi le Clamato.», me répond-elle du tac au tac. Je m'attendais à bien des réponses, sauf celle-là. C'est bien elle tout craché, et cette courte liste porte son empreinte unique. «Il y a de plus en plus de diversité alimentaire, cela dit», poursuit-elle, depuis environ quatre ans, de grands chefs ont initié une sorte de révolution, via un mouvement de cuisine nouveau nordique.» Ils ont maintenant des coins pour manger des ramens, des baos, du coréen, il y a trois marchés public dans lesquels on trouve de la cuisine de type street food. Avant, il y avait un peu de sushis, de chinois, et surtout des shawerma danifiés, donc pas authentiques: «Ça goûtait pareil partout, et il y avait toujours cette petite touche danoise, ce je-ne-sais-quoi qui faisait perdre l'essence du met. Comme si les Turcs et les Libanais de Copenhague ne croyaient pas que les Danois étaient prêts pour leur cuisine.», explique-t-elle en roulant des yeux.


Foncer, se plonger dans le doux inconfort, c'est le conseil que Jody Lee donne sans hésiter à ceux qui lisent ces lignes avec l'envie de tenter le coup vers une expérience à l'étranger, qu'elle soit courte ou longue. «Je pense que tout le monde gagnerait à vivre au moins un petit bout à l'étranger, juste parce que tu apprends beaucoup sur toi-même, et que ta façon de comprendre les différences culturelles change beaucoup. Ça peut sembler un cliché, mais je crois vraiment que ta tolérance et ton acceptation des différences augmente drastiquement quand c'est toi qui devient la minorité. Bien des gens sautent à des conclusions, jugent et s'expriment beaucoup sur les différences. Si tu te places volontairement dans la situation où c'est toi le bizarre, l'incompris, tu ne peux pas faire autrement que de penser qu'on ne doit pas sauter à des conclusions hypothétiques et faire de la généralisation culturelle.», précise-t-elle, sérieuse. «Plus tu vois d'endroits, plus tu crois que tu n'as rien vu.» Que de sages paroles sortent de la bouche de cette femme bien de son temps. C'est de la musique à mes oreilles. L'ouverture d'esprit, après tout, ce n'est pas une maladie ou si s'en est une, quelle belle maladie à chopper! La fièvre de l'aventure, de la découverte de l'autre... Et soudain, nous sommes tous les mêmes.


| par La vie est un piment

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