«L'hiver à ses débuts ressemble toujours à une fête attendue. Ce n'est qu'après qu'on se demande ce qu'on pouvait bien tant attendre.» - Quelques Adieux (Marie Laberge)
Je revendique solennellement le droit d'abhorrer l'hiver, de le maudire du plus profond de mes entrailles, de le traiter de tous les noms les plus obscènes, de radoter des sempiternelles ritournelles à n'en plus finir à propos de son exécrabilité et qui plus est, de le clamer haut et fort à vous en défoncer les tympans, quitte à vous mettre en colère noire! Oui, je sais que je devrais en revenir un peu beaucoup et inspirer profondément par les narines, qu'il faudrait que je me résigne à assumer ma nationalité canadienne pour une sacro-sainte fois, que les -40°C font assurément partie de mon patrimoine génétique, que je suis atteinte de négativisme aussi aigu qu'une rage de dents et qu'il ne faudrait surtout pas que je ventile en votre présence, sacrilège, et ainsi casser en mille miettes votre journée si bien commencée à pelleter la neige accumulée dans votre entrée pour réussir à extirper votre foutue bagnole de l'amoncellement nocturne qui la recouvre, suite à cette tempête de neige dont vous semblez pourtant vous délecter comme de petits pains bien chauds à peine sortis du four! Ça ne goûte pas le pain du tout, la neige, pour votre info! C'est sûr que vous avez les goûts dérangés, c'est indéniable, je vous plains!
On dirait que l'amateur inconditionnel de la saison hivernale le fait exprès. Pour les besoins de la cause, appelons-le Francisco. Plus je rouspète contre la neige, plus ce guilleret hurluberlu se réjouit de l'entassement interminable de tous ces gros flocons folâtres, de cette merde immaculée. Je suis d'ailleurs entourée au bureau de ces chers Francisco amateurs de «frette» [1], pour ne pas dire enclavée. On ne cesse de me bourrer le crâne que «le ski, c'est tellement une belle activité» et que «marcher sur un sentier enneigé, c'est être en osmose avec la nature». Je ne suis pas un soutien-gorge trop vide à bourrer de papiers mouchoirs, sachez-le! Non! Je ne suis pas née de la dernière neige. Good for you si l'austérité saisonnière vous contente. Tant mieux si vous aimez ça vous geler le popotin à -15°C et passer deux heures à renifler avec un filet de morve en pleine cryogénisation qui pend de votre narine droite. Fantastique pour vous si vous appréciez porter des chaussettes pas jolies (ok, vraiment laides, avouez!) en Gore-Tex polaire, un culotton qui vous donne un air d'astronaute et que malgré tout cette protection contre l'humidité de vos extrémités, vous sentiez une envie de pipi incontrôlable vous saisir directement à la vessie, vous prenant au dépourvu en plein cœur du petit boisé tout mignonnet pendant votre promenade en raquettes avec les potes. Moi, perso, je hais qu'un geai bleu me regarde pisser derrière un sapin, les fesses salement giflées par le nordet, réputé vampire hivernal des culs à l'air. Ça ne passe juste pas au conseil. Je suis d'ailleurs la présidente, non, la tête couronnée, la reine autoproclamée du peuple des dénigreurs du «frette» et dans mon royaume, il est interdit de parler de raquette et de ski de fond, sinon, au cachot!
Vous me radoterez forcément (je vous connais, là) que le ski, le patinage, la motoneige, la raquette, la glissade, le fat bike, la pêche aux petits poissons de chenaux, c'est vraiment le pied. L'épine sous le pied, vous voulez sûrement dire... Ne me racontez pas que vous êtes friand de l'hiver à cause de vos multiples options sportives, ça ne tient même plus la route aujourd'hui avec ce satané réchauffement de la planète! Votre saison de ski commence bien plus tard et se termine bien plus tôt, et vous serez foutûment chanceux si elle n'est pas interrompue par un radoucissement soudain de la température qui amènera de la «sloche», des trous d'eau ingénieusement cachés sous une fine couche de glace que vous empalerez de vos grosses bottes en faisant votre randonnée, les rendant détrempées et puantes, ainsi que vos bas laids. Tant pis pour vous! Et en parlant de saleté, n'est-ce pas franchement dégueulasse tous ces bancs de neige noirs comme le café matinal? Ah! C'est si magnifique la neige quand elle est laiteuse et ouatée, mais à notre ère de pollution archi inévitable, il faut se résigner au fait que la neige blanche, ça dure jusqu'en janvier, point. Après, le banc tourne au brun fécal, il en émane une puanteur digne d'une poubelle et ça perdure pendant des mois. Non mais c'est tellement romantique, une belle balade parmi les bancs maculés et malodorants.
En hiver, une majorité de gens devient morose et antipathique, comme moi, votre humble servante. J'ai ce qu'on pourrait appeler la maladie de l'air bête chronique. En d'autres mots, je suis un cas. Le manque de lumière, assassin notoire des sourires «dents blanches» et de la bonne humeur, m'achève de sa main experte... Se lever le matin dans la pénombre, sortir du bureau à seize heure dans la noirceur, ça te tue le moral sans foi ni loi. Puis, il y a ce froid de canard qui pince, qui mord, qui gifle, qui gerce. Le froid nous fait horriblement violence. S'il était humain, on l'enverrait tout droit en prison sans possibilité de libération conditionnelle. La seule cure qui vaille à la taciturnité de la saison glaciale, c'est un voyage en février. Et je ne suis pas la seule à m'en prévaloir. Les «comme moi» coupent l'hiver à coups de soleil et de brise saline, le temps de retrouver un brin de couleurs vives et par extension, de gaité. On court sur la plage pieds nus et la crinière au vent, comme dans une pub de shampoing. On saute dans les vagues turquoises bien chaudes et on s'affale sur un transat (madame en bikini triangle, monsieur en Speedo) pour siroter un Margarita bien mousseux ou tout autre drink vintage tout à fait à propos. Quoi de mieux que de briser la routine de l'hiver par un intermède ensoleillé? Rien. Sauf que le retour s'avère fatal, immanquablement. Se rabibocher avec la vie au Nord suite à des vacances, c'est une tâche monumentale pour quiconque a un haut-le-cœur à la simple idée de mettre le nez dehors quand c'est jour de poudrerie. Et se poudrer le nez, on le sait, ça n'a jamais été super bon pour la santé de toute façon. Ça bloque les pores de la peau ou ça éclate le cerveau, c'est selon.
Les strates incomptables de vêtements nordiques, le verglas, la pluie frigorifiante résultant des redoux, la neige abondante et fréquente, la gadoue, la glace noire (la salope!), le petit vent vicieux qui perdure et qui te siffle un air dans les oreilles, les marées inopinées qui grugent goulument les grèves comme un chien un os et le grésil qui te picote les bajoues sont toutes d'excellentes raisons de ne point affectionner l'hiver, ne croyez-vous pas? Même mon chien déteste ça à en crever: Je dois entre autre le forcer à sortir dans le vent pour qu'il fasse son numéro un. Il refuse catégoriquement de bouger et je dois donc le tirer comme un lourd traineau jusqu'à son spot... que l'on doit aménager en conséquence et réaménager (quelle galère!) à chaque damnée averse de neige. Lui et moi, on se comprend, on est au diapason. On se retrouve dans notre dépression hivernale. Le toutou, tout débile, se plante la face sous ma super lampe de luminothérapie à la recherche de quelques lux supplémentaires lui redonnant soudainement envie de courir après sa queue.
L'hiver, dans mon coin, ça dure de mi-novembre à mi-avril. En novembre, les arbres perdent leurs beaux atours, finies les couleurs radieuses et la douce mélancolie qui viennent avec, et on commence à grogner comme un ours vraiment mal léché. C'est inéluctable! Puis, décembre arrive, avec sa multitude de sapins de Noël bigarrés, de feuilles de gui (smac) et de soirées familiales à n'en plus finir. C'est l'effet Viagras. Notre humeur reprend du pep et une ébauche de sourire nait sur notre moue, surtout quand on revoit poindre sur nos réseaux sociaux la guéguerre entre les détracteurs du pâté à la viande versus la tourtière, dont le chauvinisme met de l'avant tout plein de faits alternatifs (Chers amis québécois, ce qui est appelé tourtière au Lac, c'est en fait un cipaille et ça ne vient pas du Lac St-Jean. Le mot tourtière et ses dérivés désignent en fait un pâté à la viande. Les historiens de la langue l'ont déjà tous confirmés maintes fois. Finie, la guerre! Rendez-vous, baissez les armes qu'on passe à autre chose!). Mais, comme tout ce qui monte redescend, on prend deux ou trois kilos dans le temps des Fêtes en bouffant nos émotions à coup de nanaïmos et de mokas, faisant du coup retomber notre moral à plat aussi vite qu'il était monté au ciel. Qui plus est, les réunions de famille sont un excellent moyen de transmission de maladies comme l'influenza ou le norovirus (on aime ça, la grippe et la gastro-entérite!) Quoi de mieux après tout, que d'être cloitré au lit et incapable d'avaler quoi que ce soit pour perdre l'excédent de muffin top. Et si par inadvertance la fièvre s'en mêle, on hallucine, on voit des rats qui font du ski à travers le reflet de notre lampe de chevet, ou on se marie dans le flafla avec Alex Kovalev, la sublime Penelope Cruz nous servant de témoin.
J'allais presque clamer qu'une chance qu'il y a la télé, en hiver, avec sa panoplie de téléromans, de séries dramatiques, de talk shows, de galas et de jeux questionnaires pour égayer nos soirées acariâtres. Mais même ça, ça fonctionne tout croche, à cause du célèbre et indémodable symptôme de la télécommande en feu. Pour faire simple, voilà ce qu'il en est: Il y a toujours un fort détestable match de hockey en diffusion et on se fait hypocritement voler le contrôle de l'objet sacré à tout instant de laisser-aller temporaire pour un bon petit zapping on the fly par l'amateur de hockey du logis et comprenez ici que chez moi, je ne suis pas cet individu malfaisant. Même les enregistreurs numériques n'ont pas réglé ce mal: Le live, c'est toujours mieux. Et savoir qu'Alex Galchenyuk a marqué ce soir apaise l'insécurité de plusieurs. Ils peuvent ensuite roupiller en toute paix d'esprit: Chucky va bien, pauvre «ti-pit», et ça sent la coupe à plein pif!
Comme si ce n'était pas assez, la saison froide coûte une petite fortune. Trop cher. Mais alors là vraiment trop cher. Sortez vos deniers, ne soyez pas cheap. Déjà, il vous faut payer un foutu service de déneigement et c'est tout sauf donné. Si vous daignez ne pas en vouloir, c'est que vous êtes soit maso (dans ce cas, c'est le roi ou la reine du foyer qui déneige), soit propriétaire d'une souffleuse, ou vous vivez bien pénard en appartement et épargnez ces coûts. Il n'y a rien de plus désagréable que de se lever le matin et découvrir que l'on doit pelleter sa vie pour réussir à tracer un sentier pour ainsi libérer sa voiture. Il faut bien aller travailler après tout! Pour payer le déneigeur qu'on prendra finalement l'année prochaine. Il faut aussi penser au chauffage si on veut garder tous nos doigts et nos orteils! Aussi, si on veut éviter de payer une facture salée en hydroélectricité, on achète des cordes de bois pour alimenter notre charmant foyer, s'emboucaner la trachée bien comme il le faut et apprêter nos animaux de compagnie comme des saumons dans un fumoir. Qui a envie d'une perruche fumée au bois d'érable? Miam, miam... Ensuite, il y a des fêtes commerciales à n'en plus finir. Noël, le nouvel an, et la fameuse Saint-Valentin, pour laquelle on dépense l'équivalent du salaire d'un mois en truffes chocolatées, en restos fancy, en cravates excentriques et en bijoux clinquants. Après tout, une solide razzia de magasinage s'avère une forme de cure de désintoxication surprenamment efficace pour battre l'hiver pendant qu'il est froid.
Admettez une fois pour toutes que notre Vigneault national avait tout vrai: Notre pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver. Du moins la moitié du temps. Et pendant l'autre moitié il n'est que moustiques, mais ça, c'est une autre histoire tout aussi dramatique, il faut l'admettre. Cela dit, on s'en sort indemne à chaque année, survivant aux vortex polaires, aux averses de pluie verglaçante, aux rafales, et ce, jusqu'au jour où un timide crocus ose fendre la neige et poindre à sa surface craquante, annonçant en grande pompe l'arrivée du printemps tant espéré. Là, je jette mes bottes feutrées par dessus bord en hurlant de joie comme si je venais de gagner à la loterie, je glougloute telle un dindon quand je sors mes jupes courtes du placard et je change de coupe de cheveux, car il faut raccourcir cette touffe, histoire de pousser le thème du renouveau à son maximum. Lorsque les bourgeons apparaissent tout à coup sur les branches des feuillus en renaissance, je peux enfin chanter à m'en époumoner de bonheur:
«Libérée, délivrée
Le soleil est enfin arrivé
Libérée, délivrée
J'vais pouvoir me faire griller
Je renais de mes cendres en été
Fielleuse en hiver
Le frette s'avère la goutte qui fait tout déborder.»
[1] froid
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