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La soupe alphabet


«Même dans l'alphabet, aime a toujours été voisin de haine.» - Claude Frisoni

On a tous un abécédaire qui existe en nous et ce, que l'on soit lettré ou pas. L'instinct humain sait d'ailleurs très bien lire le quotidien de tous et chacun et il nous aide jour après jour à écrire une page toute neuve de cette grande et captivante intrigue qu'est la vie. Sa plume est soyeuse comme du duvet de canard et aisée comme du nanan, sa main d'écriture coulante, véritable filet de sirop d'érable versée sur une crêpe au beurre. Notre propre abécédaire se constitue de ce qui nous caractérise le plus, de ce qui nous plaît volontiers, de ce qui nous hante malencontreusement, et bien choisir les précieux mots de notre alphabet personnel s'avère intimement lié à la connaissance que l'on a de sa propre âme, dans sa plus grande simplicité comme dans sa complexité la moins dévoilée. Plusieurs mots s'imposent d'eux-mêmes, ils pataugent vigoureusement vers le bord de la rive et tenter de les ignorer ou de les camoufler, c'est se mentir impunément. Et si on prend plaisir à se raconter des bobards, en théorie, le mot «mensonge» devrait combler la lettre M de notre courte liste de mots sacrés, mais je ne suis pas là pour vous dicter les bases de votre soupe alphabet intérieure. Ajoutez-y tout le sel que vous voulez si ça vous chante, c'est au goût.

Certains ont d’ailleurs le lettrage plutôt joyeux, d'autres l'ont grivois, quelques uns l'ont morose. Il suffit de prendre la peine d’ouvrir son petit carnet et de réfléchir un peu pour que les mots enfouis fusent et se couchent sur le papier, reconnaissants d'être enfin mis en lumière, d'être finalement avoués, même si c'est parfois à brûle pourpoint. Quoi qu'il en soit, permettez-moi de vous révéler ma propre liste de mots improvisée, et d'effeuiller mon âme en toute humilité. Yes, mon âme se promène les foufounes virtuellement à l'air, et se la joue aujourd’hui un tantinet exhibitionniste. J'ai réussi à expulser une enfilade de mots soulignant des trucs qui me branchent, certains traits de mon caractère inégal, des valeurs qui me tiennent à cœur, un brin de folie pas trop furieuse... Mais demain, ma liste sera différente, forcément. Et la vôtre aussi.


A = Amitié

L'amitié authentique, la «vra de vra là, là», celle qui laissera des marques aussi indélébiles qu’un tatou facial, n'a ni le sens du timing ni celui de l'âge. Elle surgit telle une lionne derrière une antilope, elle «poppe» de nulle part dans les moments les plus inopportuns, juste quand on croit qu'on n'en a nullement besoin, elle naît modestement au pied des pyramides de Gizeh en pleine tempête de sable ou à l'école secondaire entre un cours de maths et d'histoire, s'initie par une timide salutation plus qu'incertaine sur un forum de discussion, se scelle dans la solidarité d'un lendemain d’une veille un peu trop arrosée et se concrétise dans les estrades d'un stade en pleine hystérie. L'amitié sincère, dont l'indéfectibilité est une valeur sure, ne se réserve que pour des gens déroutants qui parfois, ne nous ressemblent pourtant que dalle, mais n'est-ce pas justement dans cette différence que l'on s'enrichit le plus?


B = Bulles

Mousseux, proseco, champagne (Il est des nô-ô-treee...), eau gazéifiée et autres élixirs effervescents, petits bonbons pétillants sur la langue, cream soda, bulles de bain, «gomme balloune», céréales de riz soufflé... J'adore quand c'est spumeux, quand ça bouillonne gaiement! Ces petits plaisirs tout en folâtres flatulences et en joyeux borborygmes m'enchantent au plus haut point. Parce que les prouts, c'est naturel, après tout.


C = Charme

Ah! Le charme féerique des lieux, celui des gens, mon propre charme plus que douteux lorsque je raconte mes salades un brin démentielles... Je dénote pratiquement toujours une touche de poésie dans le monde entier ainsi qu'un soupçon de magie dans les gestes pourtant exagérément anodins du quotidien, que ce soit dans un aéroport archi bondé de voyageurs sentant le swing après un vol de dix heures ou dans la pluie battante qui rageuse, détrempe la chaussée pendant une averse estivale inopinée. La beauté sans charme, c'est un peu comme une coquille vide, de toute façon. Un Kinder Surprise sans surprise.


D = Déséquilibre

Je suis une déséquilibrée assumée, sans poids ni mesure. Ouais, je plaide coupable big time: Je suis tout à fait du genre à débouler les escaliers, j'ai la cheville plutôt instable, voire chancelante, et je me pète le dos sur des plaques de glace, galvanisant les témoins oculaires de mes prestations. Je donne d'ailleurs tout un spectacle, je suis un carnaval vivant, une pro du French cancan, avec les frou-fous et tout le kit. Dans un tout autre registre de détraquage où je réussi nettement, j'avoue que certaines de mes idées sont parfois follement excentriques, un brin déconcertantes, souvent exagérées, par moments coûteuses, un peu contre nature, un poil dérangeantes. «Et la gagnante de l'idée saugrenue de l'année toutes catégories est ... Miss pied branlant! Bravoooo!» C'est moi au brut, laissant tomber le masque de mardi gras, les plumes et tout le tralala pour monter sur le podium et récupérer ma statuette tant convoitée.


E = Équilibre

À l'opposé, je peux me transformer en funambule aguerrie quand ça compte véritablement. Je vacille de droite à gauche, de gaucheries en droiture sur le fil parfois un peu trop slack de ma drôle de vie bâtie sur mesure pour mon balancé de hanches un peu maladroit. Mais je résiste, je me saoûle de «you go girl, t'es bonne, t'es belle, t'es capable» et tout à coup les idées s'organisent dans ma tête comme les pièces d'un puzzle, mon p'tit côté cérébral refait surface au moment providentiel pour me sauver la peau des fesses, et la peur se dissout brusquement. Voilà la définition même d'un équilibriste chevronné.


F = Football

Le vrai. Parce que le ballon rond, c'est le pied! Parce que le foot, c'est rassembleur. Parce que le soccer, c'est bigarré. Parce que j'aime perdre la voix à m'égosiller. Parce que j'adore les coupes de cheveux excentriques, les pas de danse intergalactiques, et porter une écharpe même en été.


G = Glaçage

Crème au beurre bien grasse, meringue à l'érable, glaçage au fromage à la crème, crème fouettée (que de la 35% svp)... La vie ne peut juste pas être un dessert sans crémage! Nah! Ce serait trop sec, trop insipide, trop plat. Et il faut entretenir ces fesses-là.


H = Hyperbolique

Je suis trop. Mais si trop c'est comme pas assez... Ne serais-je donc pas assez? Et si je ne suis pas assez, il faudrait que je sois plus, mais comme je suis déjà trop... Suis-je assez trop? Me suivez-vous, là?


I = Imaginaire

Le miens est un abysse interminablement profond: La fosse des Mariannes peut aller se rhabiller, oh! la nudiste. Il est aussi salé que la Mer Morte lorsqu'il divague vers des doubles sens aux sous-entendus évidents et peut s'avérer aride par moments, un véritable désert de Sonora où l'on doit percer les saguaros [1] pour dégoter la précieuse eau de vie et ainsi survivre aux bouffées d'extrême chaleur. Souvent, il tempête, il est floconneux, il vente, il gèle. Mais il crée tout le temps, immanquablement.


J = Jicama

Miam. Le tubercule latino, appelé pois patate en français (j'ai googlé pour mettre la main sur ce nom, coupaaable!) mérite amplement sa lettre J de noblesse, lui qui fut ma toute première addiction. Une jicama par jour n'éloigne peut-être pas le médecin pour toujours, mais elle régale, elle délecte, elle remplit l'estomac à peu de calories (yesss!) et est en accord parfait avec la bière de Sud. Noyée de jus de lime, parsemée d'une pincée de sel de mer et de piment à en anesthésier la langue, ça m'ajoute soudainement beaucoup d'amour dans les pupilles et les papilles... Un peu d'exotisme, ça ne fait pas de mal, après tout.


K= Kaléidoscope

Mon existence n'est qu'une juxtaposition de points de couleurs formant des images qui s'emboîtent parfaitement... ou pas. Et c'est trop bien comme cela.


L = livre

Échappatoire parfait pour s'amnésier le ciboulot de la pression du quotidien (pas besoin de drogue, juste d'un bouquin!) et occasion renouvelable de me rappeler à chaque fois pourquoi je suis raide dingue de Dany Laferrière.


M= Musique maestro!

Oui, un double M qui fait bouger mon cul sur des rythmes endiablés dans ma cuisine pendant que je me prépare un grilled cheese double fromage... Et idéalement, dans des langues bizarres dont je fredonne les paroles au son seulement, tant qu'à y être. « Habibi Habibi Habibi ya nour el ainnnnnnnn


N = Narguilé

Parce que le parfum du narguilé citron-menthe me rappelle le Moyen-Orient, le backgammon, le thé fumant (sans sucre pour moi), les interminables soirées de rakı à grignoter du melon miel dégoulinant de jus, des noix et du fromage frais sur un balcon avec vue sur la mer Noire en écoutant la musique d'Ajda Pekkan [2]. Le narguilé, c'est les vacances, le dépaysement, les effluves de l'encens, les longues robes colorées, les chats errants, le jus d'hibiscus et le henné. C'est l'appel du muezzin, les keftas et la Fayrouz [3], les châtaignes grillées et les sandwichs de maquereau sur le pont de Galata. Il personnifie l'émerveillement dans sa plus simple expression, inspiré puis expiré d'une bouche experte en un cercle de fumée parfaitement rond.


O = Onomatopées

La la la la lère, glouglou, bêêêêê bêêêêê, coin coin, biz biz biz, tic tac, dring dring, snif, bla bla bla, crac, cocoricooooooo! Je ne suis par moments que tapage incessant. Je parle en sons en gesticulant comme une givrée pour appuyer mes glougloutements. N'essayez pas de me comprendre... ou plutôt, essayez donc!


P = Pardon

J'ai le pardon aussi facile qu'une fille de joie à qui on sort cent piastres. La rancune? D'où ça vient ce mot-là? Le pardon, c'est la touche secrète que je saupoudre dans ma chaudronnée de soupe. C'est ce qui rend le bouillon si translucide.


Q = Q

J'ai régulièrement des journées de Q. Je haïs les maudits hivers de Q. Je bois Q sec. J'ai eu le Q béni plus souvent qu'à mon tour. J'ai parfois le Q entre deux chaises. Quand Trump a été élu, je suis tombée sur le Q. Je suis une botteuse de Q professionnelle. Et le Q... Bon, j'arrête là. Trop de détails...


R = Rage

J'ai la rage, je rumine comme une vache dans le champ, surtout lorsque je daigne regarder le bulletin de nouvelles télévisées. Je râle contre le terrorisme, le racisme, l'étroitesse d'esprit, l'intimidation et l'isolement, je rouspète contre les détracteurs des certitudes environnementales. Je fume, non, je boucane contre le capitalisme extrême, contre les bornés maladifs. Je ronchonne contre les religieux intégristes, les créationnistes et les athées ultra-convaincus. Oui, je rage à la tonne et en résultante, je ride comme un pruneau qui sèche au soleil. Tant pis pour moi!


S = Salsa

Il y a toujours une bonne cuillérée bien rase de salsa extra forte dans mon quotidien. Il faut beaucoup de piquant dans ma vie, et quand ça en manque, on ajoute de la sauce. Ça picote délicieusement la langue, ça a le goût divin du jalapeño et de la mangue, du sud et du soleil, de la gaieté et du positivisme. Et en prime ça décape le palais et tue toutes bactéries qu'on a par inadvertance dans la gueule.


T = Talons hauts

En été, en automne, en hiver, au printemps, au boulot, au resto, au centre commercial, dans un bus, à l'aéroport, j'en porte comme une cinglée. À chaque occasion j'en achète maladivement, je les collectionne comme une vraie obsédée de la godasse. J'ai manqué ma vocation: J'aurais dû être une gentille cordonnière. Si vous en voyez d'ailleurs une belle paire vintage d'un jaune moutarde aux talons bien pointus, m'aviser en privé que je me les procure! Il me les faut! Je les veux! OMG!


U = Univers

Il y a tout un univers de choses un peu absurdes qui dansent la polka dans ma tête à chaque jour. J'ai parfois l'impression de m'appeler Alice, la came en moins. Quoi qu'il en soit, le voyage est un peu déluré, très débridé, totalement assumé. Et vous êtes mes invités.


V = Voyages

J'ai toujours quelques escapades sur la table à dessin. Tsé, au cas où. J'ai des inclinaisons pour des lieux intrigants: On ne me prendra pas à rêver souvent de Rome ou de Paris, non pas par manque d'intérêt, mais bien parce que mon cœur bat la chamade pour des contrées empreintes de mystères un brin plus insondables. Sur ma liste un peu braque, j'ai gribouillé l'Iran, la Géorgie, la Birmanie, l'Ouzbékistan, le Bhoutan, le Darjeeling, les Îles Féroé, le Sénégal, la Mongolie, le Liban, des contrées qui bercent mon imaginaire comme une petit bébé. J'aime les lieux aux sonorités exotiques... Zanzibar, Java, Uyuni, Okinawa, Pohénégamook. À chacun ses palpitations et ses rêves de bougeotte. Il n'y a pas de mauvais voyage de toute façon. Il n'y a que des mauvais voyageurs.


W = Week-ends

Thanks God it's Friday! Non mais, on est tellement bien la fin de semaine! On ose se coucher tard, se gaver de junk, on va au ciné, on va magasiner, on fait les courses, on prend un verre, ou deux, ou trois, on fredonne un air, on sifflote joyeusement, on visite grand-maman. Le dimanche, on torche, on frotte, on balaie, on popote, on fait la lessive, on répare. Et après toute cette frénésie, tout ce vent d'allégresse enivrant, on va se reposer cinq jours au bureau, assurément.


X = Xéno

Nous sommes tous l'étranger de quelqu'un. Qu'on soit l'énigmatique fille de la «grande ville» perdue dans le fin fond du Far West, ou le touriste blanc échoué au bout de la route dans un bled de Thaïlande, il y aura toujours une personne pour nous scruter de ses yeux inquisiteurs et tenter de saisir l'essence de nos origines. Après avoir vécu longtemps ailleurs et à force de voyager en solo, je me suis résignée à personnifier l'étrangère de la place, la bizarre, la dépaysée, la culturellement dépareillée. Plus j'y réfléchis, plus je crois que c'est pour cela que je ne crains point l'étranger audacieux qui décide de s'établir sur mes terres. Je sais trop bien que je ne constituais moi-même pas de danger pour quiconque lorsque je vivais ailleurs et par la force des choses, je me remémore celle que j'étais jadis à-travers ces gens, comme mon propre reflet dans un miroir, vitrine vers le passé.


Y = Yoga

Je suis une fanatique finie du Shavasana. Je capote là-dessus! Vous voulez décrocher drastiquement? Faites un Shavasana. Vous voulez oublier la «chnoute» environnante momentanément sans la noyer dans le rhum and coke? Faites un Shavasana. Vous voulez réparer votre système nerveux un peu amoché en dix minutes illico presto? Tapez-vous un Shavasana. Vous avez envie de détruire votre ordinateur encore planté? Pensez Shavasana. Le Shavasana, c'est la clé. Faites-en votre meilleur ami de tous les temps, votre best. Namaste.

Z = Zeste

Mettez-y du zeste! Tout plein de beaux gros copeaux parfumés! Come on! Saupoudrez-en généreusement dans toutes les sphères de votre vie, dans le lit, dans votre marinade, dans votre parler, au travail, au gym, dans vos mielleuses ritournelles...Zestez en masse, ayez la main lourde comme du plomb, le punch de saveurs n'en sera que plus spectaculaire! Après tout, à la fin, tout est dans le goût.


Notre vie est littéralement un melting pot unique en son genre de noms, de verbes, d'adverbes et d'adjectifs. Chaque mot la caractérisant a sa place, son moment, sa résonnance, une véritable soupe alphabet homemade et chaque liste de mots brille par les définitions qu'on s'applique à apposer sur chacun des termes révélés, dénotant l'importance qu'on accorde à mieux se connaître. L'être humain cherche inlassablement à se définir, à apposer une étiquette sur tous les traits qui en constituent sa valeur. On a beau vouloir lâcher prise, on cherche la vérité absolue, on est têtu, on tente d'expliquer nos mutations, nos changements de direction, nos volte-face, notre tendance à bifurquer, à nous rétracter, à hésiter, à foncer comme un taureau sur une cape écarlate. La puissance des mots, leur infinie profondeur, leur émouvante beauté, leur possible laideur, nous ouvrent la porte sur un monde à explorer avec plaisir ou réticence, au diapason avec notre cheminement personnel à mieux nous découvrir en tant qu'humain laissant à chaque microseconde une empreinte singulière sur Terre. On a beau avoir l'abc variable au gré des saisons, au gré de son évolution, en gagnant de l'expérience, en échouant ou en réussissant, et si on ne trouvait pas les bons mots? Et s'ils n'existaient pas, ces foutus mots? Il ne nous resterait qu'à les inventer, ni plus ni moins. C'est notre propre soupe alphabet après tout, on l'agrémente des épices et des herbes qui nous plaisent et la délicatesse de la recette du bouillon, en perpétuelle transformation, nous incombera de A à Z.



[1] Cactus gorgé d'eau poussant dans le désert de Sonora.

[2] Ajda Pekkan, chanteuse turque célèbre

[3] Marque de boisson maltée populaire au Moyen-Orient.

| par La vie est un piment

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