«Elle est acariâtre et autoritaire : c’est un boulet. Il l’a épousée quand même : c’est une boulette.» - René Dorin
Êtes-vous un gaffeur né, une célèbre icône de la maladresse incarnée, le roi incontesté de la savoureuse boulette? La préférez-vous à l'italienne, à la suédoise, en sopa de albondigas [1], aigre-douce, en ragoût, gratinée ou dans un burger bien gras et juteux? Quelle que soit la sauce, l'épice prédominante ou la cuisson, qu'elle soit viandeuse à souhait ou toute moelleuse et aérienne, quand on fait une boulette, l'effet qu'elle laisse est toujours mémorable sur ceux qui en sont témoins. Certains kiffent grave sur nos frasques inoubliables, d'autres sont outrés par le pataud en nous, par cette double personnalité qui nous colle au visage comme un masque de lucha libre.
L'art de la gaffe parfaite n'est point un talent possédé de tous et pour devenir un empoté de choix, ça prend de la pratique à outrance, un don inné pour la maladresse, deux pieds gauches, une gâchette verbale sensible, un brillant sens du timing, une parcelle d'autodérision, un air navré et une aisance (fausse ou vraie) à demander pardon. Pour en arriver à échapper la bourde du siècle avec fracas (beding bedang), ça ne prend cependant pas un doctorat ès sciences en gaucherie professionnelle; la brique peut être droppée [2] par quiconque s'en donne inconsciemment la peine, que ce soit en banalisant de croustillants détails d'intérêt national, en oubliant des trucs d'une capitale importance ou en assouplissant sa vigilance par mégarde. Pour le gourd aguerri, le destin est déjà tout écrit à l'encre permanent: Peu importe ses efforts pour rester concentré et pour faire la grimace à la poisse, il faillira bien un jour où l'autre et à force de chasser le naturel, celui-ci reviendra férocement au galop.
Il existe des bévues si prévisibles que la planète entière pourrait les éviter facilement, tellement elles ont été répétées à maintes reprises et sont connues de tous. Mais non, on préfère plutôt se faire du cinéma et croire qu'on joue juste. Oh là là! Les bourdes sont inlassablement faites et refaites, presque mécaniquement, comme si par pensée magique (abracadabra), ça allait miraculeusement mieux se passer que toutes les horribles fois précédentes où on a été cassé par l'humiliation subie, telle une assiette dans un party grec un peu arrosé. Opaaaaaaa! Dieu merci, le ridicule ne tue pas encore, mais il nous sape tout de même comme l'as de pique, et être mal fringué en société, ça en fait chuchoter plusieurs.
L'exemple typique des erreurs inoffensives mais ridiculement idiotes à commettre, quand on a un chat, c'est de faire un sapin de Noël aussi garni qu'une pizza all-dressed en sachant très bien que le foutu minet, il n'attendait que cela, des clochettes, des boules et des cheveux d'ange. Cela s'avère une mission à haut risque pour le preux chevalier que l'on est, mission pour laquelle la dépense annuelle en décorations est indubitablement un coup d'épée dans l'eau. À chaque fois, c'est inévitable (et hilarant): Le félin en profitera sournoisement dès qu'on lui tournera le dos pour se frayer un chemin jusqu'à l'étoile perchée sur la cime du conifère, et avant même qu'on s'en rende compte, il gobera goulument le petit astre pailleté comme s'il s'agissait d'un rongeur moustachu et bien charnu. On tente de banaliser la chose comme un politicien sur la défensive: «Ce n’est pas la mer à boire, ce n'est qu'une étoile, ça se remplace, il y a plein d'enfants qui crèvent de faim dans le monde, blablabla...» Puis, on quitte pour le boulot et la première chose qu'on découvre à son retour, c'est que l'arbre n'est plus. Feu le sapin! Requiescat in Pace [3]. Il n'en reste qu'un amoncèlement de débris multicolores sur un tapis d'épines odorantes. On retrouve un bout de guirlande dans le corridor, un fragment de la crèche dans la cuisine, et on se demande combien de morceaux de plastique l'animal diabolique a engouffré dans sa rage luciférienne. Le chat cornu nous observe de ses yeux jaunes, tapis sous une commode et on remarque qu'il tient le petit Jésus dans sa gueule de boss des bécosses. «Minou, minou, minou! Viens ici mon chéri, rapporte le petit Jésus! Rapporte, rapporte, rapporte, méchant chat!» La morale de cette histoire est triviale: Quand un chat vit sous ton toit, il est roi et fait la loi, donc aucun sapin tu ne feras. Au moins, cette gaffe n'affecte que soi et personne d'autre. Ce n'est pas toujours aussi sympa, l'univers de la maladresse.

La bêtise la plus caractéristique est probablement celle de parler trop vite, car ce type de dérapage truffe nos semaines bien remplies, façonne nos journées. C'est comme poser un doigt tremblant sur une gâchette trop vulnérable: Le risque d'accident en est décuplé. Il arrive que notre langue se dénoue sans prévenir et crache un flux de mots exponentiel avant même que notre cerveau n'ait pu en analyser la pertinence. On finit souvent par les regretter chèrement tellement le malaise qu'ils causent est titanesque. Mais l'Everest des bévues verbales, le summum, c'est la déclaration de quelque chose dont on n'a point eu la confirmation, mais qu'on suppose, et ce, peu importe que notre chère logique soit en béton ou en guimauve. Entre autre, une grosse madame (appelons un chat un chat) et une femme enceinte, ça peut se confondre, oui chose, surtout si ça fait longtemps qu'on n'a pas vu le quelqu'un en question ou qu'on connait peu la personne qui se tient devant nous. Un conseil: Ne jamais au grand jamais parler de grossesse à quelqu'un qui ne nous en a pas d'abord lui-même parlé. C'est tellement agréable, après tout, de se faire dire: «J'suis pas enceinte, je suis juste grosse.» Répondre à cela, c'est de la gymnastique à la Nadia Comaneci. La grossesse, c'est un sujet fumant comme une tasse de chocolat chaud. Tant que la bedaine de notre copine ne parait point, le risque qu'elle ne soit, volontairement ou non, plus en cloque existe aussi. Fausse couche, avortement, grossesse imaginaire... Dans un cas du genre, on badine un peu moins. Cette bourde, ce n'est plus juste une boulette, c'est un arancini! Ça affecte notre journée et celle d'autrui, faisant suinter des plaies parfois encore infectées et qui ont une dégueulasse odeur de «mêle-toi-de-tes-affaires-la-prochaine-fois».
Ah! Le pouvoir des mots... et la responsabilité indissociable qui vient avec, pas en option, contrairement aux vitres teintées de votre voiture neuve. D'accord, l'inconfort résultant de mots décochés inopinément peut aussi faire naitre quelques sourires en coin. Après tout, on est certes fan de drame, mais on apprécie aussi rigoler gaiement: «Heille, salut! Je ne savais pas que tu avais une belle grande fille comme ça!» Le compliment pourrait être si à-propos... si la dite jouvencelle n'avait point été la nouvelle flamme de monsieur le démon du midi. Oups! Les sugar-daddys et les cougars, si présents dans les films, régulièrement parodiés, existent aussi bel et bien dans la vraie vie, hell yeah! Hollywood, la vie des gens riches et célèbres et les romans à l'eau de rose de Danielle Steel n'ont pas l'exclusivité de ces spécimens. Il y en a quelques uns de douillettement établis près de chez vous, alimentant la machine à rumeurs à fond de train pendant qu'ils minouchent leurs amoureux vingtenaires. On adore ça, les potins, après tout! N'empêche que c'est plutôt maladroit de faire des assertions sans avoir les preuves à l'appui, tout en croyant que notre simple jugement ne nous jouera jamais de vilains tours. (Nah! Il ne peut pas nous faire ça! Il est sur la coche, notre jugement!) En baissant la garde, on risque d'accueillir un jab en pleine gueule et de perdre quelques dents. C'est en ne vérifiant pas les faits qu'on se casse la margoulette, et qui pouvons-nous blâmer sauf soi-même? C'est ça qui est ça.
Même principe pour l'usage du mot «bipolaire», le mot le plus à la mode des dix dernières années. Le terme est utilisé à tous les parfums par les fashionistas du langage en cette ère de «je dis ce que je pense» et du «je n'ai pas de filtre». Si les gens, influencés par la «tivi» et les journaux, ont cette idée caricaturale du bipolaire type comme étant un méchant pitbull mordeur et de surcroît, avec un caractère souvent inégal, le terme, pourtant spécialisé, sert maintenant à définir à peu près n'importe qui, n'importe quoi, n'importe quand: «C'est sûrement un bipolaire, lui!» ou encore «Bon! Elle n'a pas pris ses pilules aujourd'hui, c'est évident!». Même si ça nous fait un bien démesuré de râler un bon coup avec les collègues et les copains, le vrai bipolaire, lui, peut être dans les parages en train d'écouter d'une oreille plus qu'intéressée notre discours nonchalant et prépare sa vengeance en douce. Il se tient peut-être même devant nous incognito pendant qu'on déblatère et son secret, jusqu'alors aussi bien gardé que la prison de Donnacona, n'est trahi que par son faux sourire un peu trop figé dans le milieu du visage olivâtre. Quoi? S'attend-on à ce qu'ils arborent une étiquette avec la mention: «Attention! Bipolaire fou au travail!» en plein front pour annoncer sans tambour ni trompette leur indésirable présence parmi les dits «sains d'esprit»? Il est à noter que la majorité des bipolaires ne sont ni des Rambo, ni des zombies, ni des dépensiers obsessifs, ni des drogués finis. Ils vont bosser comme tout le monde, fréquentent ce gym vingt-quatre heures, et leurs enfants «copinent» avec les nôtres. La couverture parfaite, quoi! Et si notre patron l'était et cachait son jeu? Ouille! S'il fallait qu'il nous ait entendus blablater joyeusement... Il aurait probablement envie de nous enfoncer son lithium dans le derrière (vous mettriez cela sur le dos de la maladie mentale, mais pas besoin d'être malade pour avoir envie d'étriper un énergumène.) Dans les faits, trois personnes sur cent flirteraient au quotidien avec la bipolarité, de quoi nous mettre une multitude des gens à dos à force de trop haranguer en public sans en savoir assez sur le délicat sujet.
Gare à vos fesses, grands parleurs sans filtre! La vengeance de tout individu visé par des préjugés gratuits peut s'avérer déchaînée! La photo compromettante de vous, vos sous-vêtements décrépits et votre impudeur (merci, porto, cognac et autres griseries des vendredis soirs) avec le petit stagiaire au dernier party de bureau pourrait bizarrement se retrouver à la une de l'intranet de la compagnie, demain matin. Juste comme ça. Par accident. Gagner une bonne réputation, c'est le fruit d'un labeur extrêmement assidu. Pour la perdre, il suffit d'une fraction de seconde pour initier la dégringolade. Et perdre sa réputation pour de telles imbécilités, c'est comme si un château de cartes s'effondrait à l'ajout du deux de pique au sommet. Les cartes virevoltent et s'étalent, et toutes les ramasser prend un temps fou... comme pour se refaire un nom.
Certaines boulettes sont plus goûteuses que d'autres, surtout celles que l'on classe dans la catégorie des oublis «malaiasants [4]». Vous savez, par exemple, ce jour où l'on se rend compte en plein milieu d'une randonnée en montagne qu'on a oublié de faire pipi avant de partir et qu'on a absolument besoin d'une pause bio. Pour monsieur, s'il y a un arbre quelconque, une forêt, de la verdure, il est sauvé (Alléluia!) Après tout, c'est très facile de se sortir la pissette pour un number one à l'abri du regard scrutateur des indiscrets quand il y a un peu d'ombre. Cependant, si vous êtes à la queue-leu-leu sur les pentes nues du Kilimandjaro avec de la roche à perte d'horizon, bonne chance avec ça. Et madame, elle, on lui souhaite d'avoir pensé à amener une couche pour adulte, parce que la baisse discrète de la petite culotte ne sera point aisée sur le sentier un brin enneigé devant une foule de marcheurs équipés de longues vues et surtout de bâtons de marche pointus comme une lance et capables d'embrocher quelqu'un. Un pied mal placé sur une motte de glace et vlan, on est harponné comme un tarpon pris par un pro de la pêche en haute mer. Fish on! Oublier d'aller faire son petit pipi au camp avant un départ plus que matinal, c'est une bourde monumentale pour les vessies exiguës. Et là, aussi bien ne pas imaginer le chiffre suivant le un, quand ça s'applique.

Dans la même veine d'oublis qui impactent drôlement, le trousseau de clés dans la voiture en marche et verrouillée dans le stationnement du centre commercial, c'est pas mal la tasse de thé fumante du distrait vétéran. Surtout quand la personne qui traine le double n'a pas de voiture elle-même pour aller le retrouver sur son lieu de crime. Mieux vaut ne pas être pressé, galère! On appelle le dit possesseur du double du trousseau pour l'aviser de la situation de crise majeure, on téléphone à un taxi qui prend une éternité à trouver votre spot, on fait une belle petite promenade slow motion dans les bouchons de midi, puis on récupère les précieuses clés, on refait le chemin inverse en soupirant tout le long, on arrête au guichet automatique, car on n'a pas un rond pour payer le taxi. Finalement, on saute dans sa voiture et on démarre en trombe car on est affreusement en retard et on va rater sa rarissime chance de briller au boulot devant la haute-direction, mais un policier nous attrape et nous colle une contravention coûteuse pour avoir grillé un feu rouge un peu trop persistant à notre goût. Bref, on manque donc sa réunion du siècle et on rage, on grogne, on rumine, on bougonne. Ça nous apprendra à sortir luncher, aussi! C'est à croire que notre petit sauté thaï poulet tofu nous a rendu amnésique. La prochaine fois, on jeunera, c'est mieux. Enfin...
Certaines bourdes sont inévitables et dieu merci, car elles pimentent de façon plaisante notre quotidien parfois un peu morose, surtout en hiver. On adore voir quelqu'un prendre une débarque sur un trottoir verglacé et se relever, honteux, en regardant autour pour valider si on l'a vu se répandre ou non. La boulette, bien qu'humiliante sur le coup, se transforme en anecdote qu'on se plaira à relater à la moindre occasion propice à un bon rire gras. Cela dit, d'autres gaffes dignes du nom peuvent être prévenues, surtout celles liées à notre manque de jugeote orale. On a immensément à perdre de cracher publiquement ses opinions branlantes sur l'actualité sans avoir cogité au préalable à propos des conséquences d'un tel verbiage. Les lieux publics ne sont pas notre douillet salon, notre divan aux coussins fleuris, et bien que vivre en société implique des opinions, des débats et des contestations, les décocher de façon réfléchies s'avère une responsabilité éléphantesque! Plus on saoule d'oreilles non consentantes en dédaignant telle chanteuse dite «pour ados», en se moquant de tel «politi-chien» à la mode, en cassant du sucre sur le dos de certaines minorités trop visibles, plus on expose son étroitesse d'esprit au premier venu en guise de carte d'affaires. On se fait démasquer et cette étroitesse amène surtout de la petitesse.
Ainsi, le grand art de la pitrerie involontaire, de la bévue délectable peut facilement devenir une tare si on ne surveille pas son langage. Quoi qu'il en soit, une chose est certaine, si vous cuisinez des boulettes, je vous prie de m'inviter, sans faute. J'en raffole comme une gamine devant une glace au chocolat, je ne suis pas difficile, je mange de tout et si vous avez de la chance, vous me verrez peut-être même trébucher avec mes bottes à talons hauts dans les marches de votre portique.
[1] to drop a brick: faire une gaffe, expression anglaise.
[2] soupe aux boulettes d'Amérique Latine.
[3] Repose en paix, en latin.
[4] Québécisme, qui cause des malaises.