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Notre cher Pneu Canadien


«La voiture est le troisième testicule de l'homme moderne.» - Rimdelaire


Oh que oui, l’homme moderne, qu’il soit rustico-rustique ou pas, ce cher «Canayien» que l'on connaît bien, a véritablement trois gosses [1], dont l’une le fait carburer à fond de train comme une locomotive à moteur. Pour satisfaire tous les besoins découlant de ce phénomène, ça prend un grand palace rempli de joujoux clinquants, dispendieux, et souvent futiles, et c’est chez Canadian Tire que ça se passe, indéniablement. Les Canadian Tire poussent comme des champignons comestibles dans chaque racoin du pays et font office de carrefour du bon plaisir des étalons de par ici, émergeant bien souvent de nulle part, au même titre qu’une cité sortant de terre à travers les sillons d'une route ancestrale. Ça sent le pneu neuf dans ce château-fort des achats impulsifs. À plein nez. L'odeur m'assaille, éveille mes sinus un peu engourdis, me prend carrément au pif, et s'avère aussi efficace que le débouche-tuyaux que l'on trouve dans l'allée de la plomberie.


Depuis notre tendre enfance, que l'on soit à Longueuil, à Kamloops, à Moncton ou à Hamilton, on fréquente ce lieu de mythologie de façon aussi régulière qu'un métronome, légendaire caverne d'Alibaba où l'on se perd volontiers entre huiles à moteur, lustres et outils, décorations de Noël, appareils fitness et bicyclettes. Le Canada en entier vénère cette maison des dieux, indubitable temple abreuvant notre spiritualité capitaliste, et on y tient comme à la prunelle de nos yeux. Il fait partie de notre ADN, rien de moins, et s’avère probablement, à égalité avec le Tim Hortons, le lieu qui rassemble le plus disparate éventail de Canadiens d’un océan à l’autre, et qui, le temps d’une petite demi-heure à se balader entre les étagères chargées, deviennent tous de simples adeptes vendus à mort au concept. Oui, même les Souverainistes y vont souvent, faisant fi du manque de bleu et du nom fédéraliste. Je vous le dit, j’en ai vu y poindre le museau. Qui n'aime pas recevoir de l’argent à l’effigie de la célèbre bannière, de toute façon? Savez-vous que les billets sont imprimés sur du vrai de vrai papier-monnaie et que certaines coupures ont même de la valeur auprès des numismates? Vérifiez sur Internet si vous ne me croyez pas : Les collectionneurs aiment beaucoup la devise Canadian Tire. Bon, ça prend deux siècles et demi avant qu’on puisse en avoir assez pour changer sa tondeuse à gazon ou son barbecue au propane, je sais, mais c’est quand même excitant d’accumuler les petits rectangles avec la face de Sandy McTire imprimée dessus (hé oui, c’est le nom du bonhomme en question, j’ai fait mes cherches, voyez-vous).


En y entrant, on se laisse mener tel un automate par les allées surchargées comme un surfeur glissant sur sa vague parfaite, la chevelure plaquée sur le front, et les effluves nauséabondes de caoutchouc nous sautent en pleine face, fragrances agressives à souhait et véritables abeilles tueuses déclencheuses de migraines qui émoustillent pourtant les messieurs au même titre qu'une sortie entre potes dans un bar à gogo. Qu’à cela ne tienne, les dames d'aujourd'hui font aussi de la réno et de la mécanique, et attention messieurs, elles sont douées comme des virtuoses, en plus. Le Pneu Canadien ne fait donc plus office de taverne de mecs en manque de gros bidules, et madame peut y trouver son compte assez aisément, malgré qu'il faut tout de même avouer que c'est encore et toujours l'endroit de choix du mâle dans toute sa splendeur. On a bien tenté de satisfaire les gentes demoiselles avec une section cuisine bien garnie (ouais, c'est un typique cliché encore vivant de notre époque), mais les jeunes hommes du vingt-et-unième siècle apprécient tout autant les chaudrons et la popote, ils ont les papilles facilement «émoustillables» et dévalisent donc cette section conçue pour les ladies de façon régulière, jetant leur dévolu sur une spatule en silicone ou un poêlon en fonte, au grand plaisir de ces dernières qui apprécient particulièrement que le diner soit en cours de préparation par leur chéri d’amour pendant qu'elles profitent d'un bain chaud parfumé à la lavande au retour du travail.


L'endroit est si réconfortant, comme une tasse de chocolat fumant à la guimauve, tellement que plusieurs retraités (ainsi qu'une poignée de désaxés, il faut le dire) y errent jour après jour plutôt que de s'installer à la table de leur restaurant préféré pour y siroter le même café pendant des heures en lisant le journal. Ces habitués sont présents au quotidien, n'achetant pratiquement jamais rien outre des pacotilles de fortune, mais traquent allégrement les employés affairés pour leur piquer une petite jasette et ainsi tuer l'ennui. Tic tac, tic tac. Ces habitués sont un peu eux-mêmes comme des employés bénévoles, en fait, connaissant les moindres espaces les plus hermétiques du magasin, et ils pourraient vous guider les yeux fermés dans n'importe quelle section saugrenue pour trouver tel boulon rare, tel ampoule à DEL en spécial, tel produit nettoyant miraculeux. Ils sont les fidèles soldats du Pneu Canadien, symbole sacré de leur vie, et lors des moments de longueur à égrener, c’est l’endroit où aller pour se dégourdir les jambes. D'accord, il faut parfois appeler la sécurité pour sortir un ou deux «traineux» professionnels qui importunent les clients, mais c'est le lot des commerces populaires.


C’est tout de même rigolo de dépeindre les individus qui peuplent le pays de la jante. Même nos vedettes favorites y pointent le bout du nez. Ces gens ont beau être riches comme Crésus (du moins en apparence) et célèbres comme le Pape, le fruit ne tombe habituellement pas très loin de l’arbre. Tout le monde a une fois dans sa vie besoin d’un siphon pour déboucher une toilette, ou d’un kit de lumières pour décorer son balcon en décembre. On a tous besoin d’un petit sapin qui pue pour accrocher au rétroviseur de la voiture. On cuisine, du moins on essaie, on répare les tiroirs qui couinent, on change nos ampoules une fois de temps en temps. C’est hilarant de laisser divaguer son imagination lorsqu’on découvre que tel animateur de télé connu se présente au magasin pour acheter du ruban adhésif, de la corde et un couteau à lame rétractable. Est-il un adepte du sadomasochisme? Va-t-il enlever quelqu’un et le séquestrer dans un chalet en campagne? Regarde-t-il trop de films d’action? Que mijote-t-il? Même chose pour telle très jeune actrice célèbre de dix-huit printemps qui erre dans la section cuisine, indécise, comparant le prix des poêles à frire et des batteries de cuisine, hésitant entre deux couleurs. Quitte-t-elle le nid familial? Va-t-elle vivre seule ou emménage-t-elle avec son petit ami du moment? À quel journal à potins doit-on envoyer la nouvelle ainsi que le cliché pris en douce avec notre appareil mobile «paparazzi style»?


Souvent, c’est dans la zone sport que se passent les vraies affaires. Tous les clichés vivants l'adorent. On voit les douchebags s’y pavaner, torse bombé, camisole et casquette de «truckeur». Ça sent le 1 Million de Paco Rabanne à plein nez et ça cherche des poids et haltères avec un p’tit rack pour les ranger. Certains devraient faire plus d’exercices de jambes et moins de bras, eux qui ressemblent à une caricature tellement le haut est gonflé et le bas est, ma foi, plat comme une crêpe bretonne. On voit aussi les p'tites familles y passer en véritables tornades. On dirait que pour certains marmots, il s’agit de leur seule sortie de la semaine: Ils sont en état d’ébullition lorsqu’ils entrent (ou plutôt se propulsent comme une fusée) à l’intérieur du magasin. Ils courent dans les allées, ils crient, maman et papa les grondent, mais ils n’en ont cure et ne font qu’à leur tête. Dès que «papounet» laisse par inadvertance ses yeux flirter avec l'outil nécessaire à la réparation d’une porte, les kids disparaissent, et la première chose que l’on découvre, c’est qu’ils se baladent impunément entre clients et stations de toutes sortes à vélo jaune fluo, dégoté quelques mètres plus loin dans la section plein-air, en poussant de petits cris de monstres diaboliques. La sœurette trébuche en voulant agripper un kit de clés anglaises et se pète la margoulette sur le coin d’un établi. Le frérot, tout en sueur de tant de stimuli en simultané, hyperventile en trépignant. Une vieille dame tente de l’éviter, mais il percute son charriot de plein fouet (elle avait omis de vérifier ses angles morts, il faut croire). On retrouve aussi les incertains de la rénovation (les comme moi, là!), qui n’osent pas trop solliciter le commis, de peur de ne pas savoir décrire leur besoin. On préfère demander conseil à Google, qui se plait à nous tourner en bourrique. On n’a jamais tenu un marteau, on ne sait pas qu’il existe plusieurs sortes de vis, et que la grandeur des portes, ce n’est pas vraiment du standard. On tente de se rappeler de la teinte de la peinture qu’on veut, puisqu’on n’a pas daigné noter le numéro de la couleur. On fait dur, en résumé.


Au gré des saisons, on voit différents types d’acheteurs passer les portes automatiques. En hiver, lorsque c'est veille de tempête, on en voit certains se ruer sur les matelas gonflables, les essuie-glaces et les câbles à booster. On comprend qu’ils évaluent leurs chances de rentrer à la maison après le boulot comme étant quasi nulles et qu’ils se préparent à «rusher» sérieusement avec leur voiture et à camper dans le salon d’un collègue. Puis, au printemps, une toute nouvelle clientèle se pointe en même temps que l’ouverture de la section horticulture. On veut planter un pommetier décoratif aussitôt la neige fondue, on veut ajouter des vivaces, on commence tôt la culture des tomates italiennes, on veut du basilic frais. Je ne suis définitivement pas madame pouce vert. Aussi, vous me verrez plutôt apparaitre au moment des rabais sur les décos de Noël pour faire le plein de boules et d’ornements de toutes les couleurs. Je suis une vraie obsédée des sapins de Noël, ça m'aide à me faire avaler l'hiver. Je n’ai aucune limite à surcharger un pauvre petit arbre d’une tonne d’apparats sans me préoccuper du risque existant d’effondrement de mon plancher de salon sous tout ce poids. Aussi, le Pneu Canadien devient mon magasin favori aussitôt que tous ces machins tombent à 70% de rabais. Je suis prête à braver les files d’attente et le piétinement du Boxing Day pour préparer le Noël suivant, au grand dam de mon conjoint qui lui ne comprend pas comment je peux faire caser toutes ces babioles dans un seul arbre. Je suis bonne en LEGO, man, que veux-tu. Je suis capable de faire rentrer ma vie dans un tiroir, donc pas besoin de s’inquiéter pour mon sapin. Au pire, quand je n’aurai vraiment plus d’espace dans le conifère… j’en ajouterai un deuxième. Canadian Tire en offre justement de sublimes en vente le 26 décembre. Comme ça tombe bien!


Peu importe ce que l'on cherche, on le trouvera ici. Avouez que votre cœur palpite à tout rompre dès que vous vous y égarez un peu, que ce soit par réel désir d’acheter un truc, par envie de zyeuter les étalages remplis de rêve brut ou pour vous chasser un tantinet soit peu les fourmis des jambes, on s’y sent chez soi, et la marque est si bien ancrée dans les mœurs qu’aucun Wal-Mart de ce monde n’a encore réussi à lui arracher sa chasse-gardée impressionnante. Et pour votre information, c’est toujours là que les batteurs sur socle sont les moins chers. Je vous dis ça pour votre bien: Ça vous évitera de chercher à vous en donner un haut-le-cœur... Parce que je veux que vous fassiez de la belle crème fouettée sans effort. Bref... Et si jamais vous achetez de la corde, un couteau rétractable et du ruban adhésif… trouvez-vous une bonne excuse, de grâce.





[1] testicules



| par La vie est un piment

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