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L'obsession à talons


«Il n'y a aucune mauvaise chaussure qui ne trouve sa pareille.» (proverbe français)

Attention! Attention!: Le texte qui suit est truffé de capitalisme, de matérialisme, d'égocentrisme, de nombrilisme, d'artifices, de mercantilisme et de superficialité. Il fait l'apologie de multiples dépenses futiles, d'obsessions inutiles, d'échappatoires coûteux et aucunement écologique, et c'est moi la pauvre petite victime (oui bon!) de tout ça. C'est comme ça, à chacun ses pansements, ses baumes. Sachez que malgré ce petit côté fêlé de ma personnalité, j'ai encore et toujours bon pied bon œil. Merci tout de même de vous en inquiéter, mais je vais bien et je suis toujours à pied d'œuvre, comme un scout.


J'ai le pied allègrement chaussé. À savoir si la godasse lui sied à merveille ou si elle incarne le purgatoire sur Terre, ça dépend de ce qui pend. Choisir une paire de souliers le matin, diantre que ça pourrait être simple, mais la chaussure en dit tout de même un peu trop sur l'individu qui la porte pour qu'on ne banalise cette étape cruciale du «se vêtir» matinal. Surtout si on est bête comme ses pieds parce qu'on s'est levé sur celui de gauche et qu'on a le moral bien enfoncé dans les talons. Dans ce cas, conseil d'experte, il faut d'ailleurs oser l'escarpin clinquant. Il attirera comme un aimant l'attention des spécialistes de l'inquisition de votre entourage sur son shine jaune moutarde baseball alors qu'on a une sale gueule de dégoût pour l'univers entier et que bête comme ses pieds, on roule des yeux comme un professionnel à chaque toussotement du voisin de bureau. Ni vu ni connu. La chaussure vole ici la vedette à notre face de cul, et on peut continuer impunément de sourire à l'envers, à l'abri des plaintes pour conduite antisportive chronique et des coups de savate sur la nuque que l'on mériterait pourtant.


Lorsque la route est longue, ça nous prend de bonnes semelles antichocs qui peuvent encaisser les coups et qui sont à l'épreuve de toute la merde qu'on serait susceptible de fouler, surtout si on est pantouflard comme moi. On met ses bottines de marche, on attache ses lacets serrés et on se lance vers l'avant, le menton bien haut, question de voir le plus loin possible devant soi. Parfois, la route se perd en sillons tourbillonnants entre deux collines, jusqu'à en causer la nausée, et on tente alors de ne pas marcher à côté de ses pompes, de peur de dégringoler dans le sournois précipice qui borde la chaussée comme un enfant au sommeil turbulent qui chute de son lit. Lorsqu'on suit une quête qui perdure dans le temps, il arrive un certain moment où on a les pieds tellement maganés qu'on ne peut plus enfiler aucune chaussure. Au mieux, on se promène alors en pieds de bas pour oublier la pression de l'univers qu'on porte sur les orteils. Les projets ambitieux donnent des ampoules, de grosses cloques suppurées et malodorantes et laissent une persistante sensation de brûlure qui fait grimacer. Parfois, on en a plein les bottes, ça déborde de partout comme une casserole de soupe oubliée sur un rond de poêle trop chaud. On se dit alors qu’on a déjà eu des clous dans ses chaussures, on en a vu d’autre et on saura continuer son chemin malgré les embuches. Il faut bien vivre sa vie au maximum de ses capacités, après tout, du moins avant d'avoir un pied dans la tombe. Ce n'est pas en faisant du divan qu'on réalise ses rêves les plus cinglés.

Côté chaussures, j'ai autant de choix dans mon placard que dans une bonbonnière, si vous ne vous en doutiez pas déjà. Et ici, prenez-moi au pied de la lettre, car je n'exagère pas du tout. Il pleut du soulier à boire debout dans mon univers un peu déjanté. Ma collection dépasse en effet tout entendement et je classe soigneusement les précieux apparats par type et par hauteur de talons. Il y a les sandales, les mules et escarpins, les chaussures à plateformes, les talons-aiguilles et les chaussures sport de tout acabit. Puis j'ai les pantoufles et les chaussures de fantaisie. J'ai mes godasses préférées, vous savez. Il y a entre autre cette paire feutrée aux couleurs milkshake pastel pailleté dont les talons de quatre pouces de haut me donnent un air rétro et allongent ma jambe élégamment. Puis j'ai ces chaussures rouges bien lustrées achetées chez Flo à Istanbul, avec un large ruban écarlate que je noue sur le dessus du pied et qui me font penser aux souliers magiques de Dorothée dans le Magicien D'Oz. Quand je les porte lors d'une journée morose où j'aimerais qu'on me lâche les baskets, je n'ai qu'une seule et unique envie: Me frapper les talons ensemble trois fois dans un tintamarre de la mort qui tue pour m'envoler et ainsi faire un pied de nez à un bureau austère, pour atterrir à une terrasse de bord de mer, à Bali, tiens, y siroter un cocktail vintage en me faisant griller la face comme une crevette sur le charcoal et ainsi oublier la horde de pépins de pomme qui peuple par intervalles ma vie du lundi au vendredi. J'ai cette belle paire fuchsia qui me redonne des couleurs aux joues lorsque j'ai une bonne grosse céphalée de tension quand j'en ai raz le pompon des conneries d'autrui.


Il y a en fait une occasion pour chaque paire de chaussures. Et comme des occasions, il n'en manque pas dans ma vie, ma maison est une véritable corne d'abondance à brodequins, espadrilles, bottillons et mules. Lorsque j'ouvre la porte de mon placard, je regarde toutes ces beautés et je ne sais pas sur quel pied danser tellement elles me crient toutes: «Porte-moi!». Je dois ajouter que je n'ai aucun contrôle lorsqu'il est temps de m'amouracher de la nouveauté saisonnière de ma boutique préférée. Quand je suis raide dingue, je n'y peux rien, le mal est fait et pas à peu près. J'ai besoin de bottes aux genoux. C'est toujours pratique pour camoufler une maille dans un bas collant. Il faut aussi toujours avoir une paire de chaussures noires provocantes sous la main. Elles nous donnent ce petit air de dominatrice si utile pour impressionner d'un croisement de jambes quelques esprits facilement enclins à la distraction futile. Ne soyez pas outrés: Nous sommes tous manipulateurs à notre heure. Que celui qui n'a jamais péché me lance la première babouche! Ça nous prend aussi au moins une paire de souliers laids (lire ici: Confortables). De temps à autres, même si ça vous fait grincer des dents, vous devez garder les pieds sur terre et ainsi octroyer un brin de repos à vos orteils qui ne portent peut-être pas le poids du Monde entier, mais qui soutiennent néanmoins le vôtre à l'année longue, avec tous les kilos en trop que ça implique et votre balancé de hanches un peu exagéré. (OK messieurs, ceci s'adresse moins à vous, mais ayez un peu de compassion!)


Il n’y a pas meilleure sensation que celle de troquer les bottes d’hiver pour de ravissantes chaussures aux teintes de soleil et aux motifs estivaux. Je vous l’annonce en primeur : Si j’étais votre Première Ministre, entre deux lois environnementales, je ferais adopter un décret stipulant que de mai à octobre, il est interdit de porter des chaussettes. Messieurs, sandales et loafers vous vont à ravir. Osez le loafer, come on! Mesdames, à quoi ça sert de se faire une pédicure si vous la cachez sous vos bas à motif de chats ou de reine au nez rouge? Au prix que ça coûte, une pédicure… J’aime beaucoup, par exemple, prendre mes cliques et mes claques et sortir me promener le pied léger dans de superbes ballerines vert lime. Ça donne une impression d’été, de cocktails aux agrumes et de tarte au citron. Je raffole de la sensation des rayons de soleil qui pianotent sur mes beaux ongles rouge cerise, même s’il en résultera un bronzage assez affreux qui durera jusqu’à l’automne. À chaque nouveau printemps, je m’achète une paire de chaussures. Elles doivent être excentriques, hautes comme un gratte-ciel new-yorkais et par le fait même inconfortables à souhait. Tant qu’à y être, pourquoi ne pas aggraver mes fasciites plantaires persistantes et épaissir cette corne douloureuse aux talons? Si on doit souffrir volontairement, aussi bien le faire dans les plus pures règles de l’art. La couleur bleu «ecchymose» est un si charmant complément aux teintes à la mode cette année, après tout! Et les varices, ça peut faire office de tatouage de fortune. Pourquoi payer cher un persillage de la jambe qu’on peut de toute façon obtenir gratuitement? Je suis prête à faire le pied de grue devant les portes de mon magasin préféré, attendant son ouverture, lorsqu'il y a soldes sur les Nine West.


Mon dada, c’est surtout le talon-aiguille. Comprenez-moi s’il vous plait avant de me juger avec dédain, vous, détracteurs de mon perchoir de fortune. Du haut de mes cinq pieds un pouce et trois quarts, j’ai une vue un peu restreinte sur le monde ambiant. J’ai quand même les yeux à hauteur de chest ou de lolos, ce qui pourrait forcément plaire à certains individus, mais dans les faits, je préfère volontiers voir le visage des gens. Un petit dix centimètres de talons, ça m’offre soudainement un tout nouvel univers de perspectives qui me semblaient si insondables en ballerines. Bon. J’avoue que ça ne justifie pas mon obsession pour en accumuler autant à la maison. Cependant, tant qu’à porter des talons hauts, aussi bien varier les plaisirs et les matcher avec mes émotions du moment. Je vais donc opter pour une grandiose paire de turquoises vernies lorsque je me sens un peu «Creton» de la Petite Vie [1]. Tant qu’à y être, on va s’habiller en turquoise de la tête aux pieds, pour bien assumer le thème. Quand je vais dans une soirée du henné, sorte d’enterrement de vie de jeune fille pour les femmes musulmanes, je porte les talons les plus pointus et les plus brillants possibles, pour faire comme tout le monde. Ces soirées sont truffées de paillettes, de robes extravagantes et de pédicures parfaites. J’ai carrément l’impression de chausser des boules disco tellement ça scintille de partout. Quand je me sens aussi banale que la banalité elle-même, je sors ma paire de talons avec franges de suède: Elle me donne un p'tit air western glamour et j'ai presque envie de chanter «Quand le soleil dit bonjour aux montagne» (pas vraiment...) J’adore fantasmer comme une gamine de sorties imaginaires au bras (au pied, que dis-je) de Lou, Manolo ou Jimmy [2], les trois dudes les plus hot de l’heure et prendre un tout petit peu son pied. Leur postérieur est foutrement bien galbé, il faut se dire les vraies choses.


N’y a-t-il rien de plus orgasmique au monde que de pénétrer dans un magasin de chaussures avec l’idée de se mettre les orteils dans des tas de beaux escarpins qui sentent bon les effluves de cuir neuf? Dès que je pose le pied dans la boutique, j’effleure les souliers du bout des doigts, je retiens mon souffle, et mes joues se rosissent d’excitation à l’idée d’enfiler toutes ces beautés, sans retenue. Et là… je me transfigure en poule pas de tête : Je cours, je sautille, je fais du va et viens dans les allées, je me «pitche» dans la foule, pour être certaine d’avoir la dernière paire à ma pointure dans telle teinte, je suis l’incarnation de la folie même. Mon amoureux roule des yeux et complètement gêné par mon comportement de volaille, il me fait faux bond, prétextant un besoin soudain d’aller dans la boutique d’électronique d'en face, le vilain. En faisant semblant de ne pas m'en apercevoir, je lui enlève une hyper longue épine du pied. J'entends presque son soupir de soulagement aussitôt les portes franchies et ses talons claquer dans l'allée: Ça raisonne comme un cheval au galop, pauvre ti-pit qui lève l'escarpin comme un voleur en fuite, apeuré par ma sénilité momentanée. Et moi, incontrôlable, je dilapide ma modeste paie dans ces perles de chaussures satinées de couleur pervenche qui faisaient fondre mon cœur en sucre à la crème depuis que mes yeux les avaient «spottées». Je peux presque comprendre les fétichistes qui s'excitent à la simple vue d'un talon pointu et d'une pédicure éclatante. Je me regarde les pieds chaussés de ces huitième merveilles du monde et j'ai presque envie de... Non. Pas vraiment en fait (Avouez que vous y avez presque cru!).


En terminant, je peux vous confirmer que l'univers de la chaussure, c'est le pied. C'est le summum de l'item de mode par excellence. Non! Pas la peine de répliquer, même Elvis l'avait si bien expirmé, à sa manière unique: «You can burn my house, steal my car, drink my liquor from an old fruitjar. Do anything that you want to do, but uh-uh, Honey, lay off of my shoes. Don't you step on my blue suede shoes. You can do anything but lay off of my blue suede shoes.» [3] Non mais, il l'avait l'affaire ce type. C'était évidemment ses chaussures en suède bleu qui lui donnait tout son swag (tsé). Blague à part, l'art de bien choisir sa godasse n'est pas donné à tous, mais ça, je sais faire. Mes souliers ont beaucoup voyagé, comme ceux de ce cher Félix [4], ils sont mes plus fidèles partenaires de route dans mes escapades au bout du monde, mes meilleurs alliés lors de mes sorties mondaines et mes pires ennemis lors des fins de soirées trop arrosées où je perds pied lorsqu'un talon se coince dans une fente du trottoir. Aussi, la question qui tue se doit d'être posée ici. Est-ce vrai que la longueur du pénis est proportionnelle à la pointure de monsieur? Et si oui, c'est le zizi au repos ou sur un pied de guerre? Je sais, je suis grave. Parce que j'ai jamais sorti ma règle pour mesurer. Si quelqu'un d'entre vous a déjà fait cette fort intéressante comparaison, merci de m'instruire volontiers. Qu'à cela ne tienne, on finit toujours par trouver sa pointure.



[1] Série télévisée populaire dans les années quatre-vingt-dix.


[2] Louboutin, Manolo Blahnik, Jimmy Choo.


[3] Tu peux brûler ma maison, voler ma voiture, boire mon vin d'un vieille carafe de fruits. Fais ce qui te plait mais hu hu, mon chéri, laisse tranquille mes chaussures. Ne marche pas sur mes chaussures en suède bleu. Tu peux faire n'importe quioi, mais laisse mes chaussures en suede bleu tranquille. (Blue Suede Shoes, chanson écrite par Carl Perkins et reprise par Elvis Presley.


[4] Félix Leclerc



| par La vie est un piment

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