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La bière de la liberté


«La liberté, c'est toujours la liberté de l'autre.» (Rosa Luxembourg)


Hier, en faisant tout bonnement ma marche quotidienne, j'ai croisé ce jeune homme un brin nonchalant au centre-ville. Le gringalet en hoodie avançait à pas de tortue, lui et sa démarche «smooth criminal», une bière ouverte à la main. Sur le coup, j'ai pensé que si la police l'interceptait, il se ferait avertir ou on lui collerait une amande. Puis, je me suis dit que le simple fait qu'il boive une cerveza sur le trottoir ne mettait ni sa vie ni celle des autres en danger mortel. Come on! Une bière. Une seule petite bière de rien du tout, man. Il contrevenait en fait à une sacrosainte loi élaborée pour prévenir une poignée de saoulons de partout en province de zigzaguer dans la rue comme des cerfs-volants pognés dans le vent et de risquer ainsi de provoquer un accident qui pourrait être évité. C'est quand-même une bonne raison, là. Mais, à bien y penser, même si ces buveurs délinquants sont très minoritaires, une loi a tout de même été créée pour prévenir plutôt que de guérir. On réglemente tout de go trente millions d'individus pour quelques centaines de «sans jugeote», c'est l'histoire du Monde. Oui, je comprends le concept. Non, je ne le conteste pas. Je m'attriste cependant à l'idée que la liberté n'est qu'un mot qui existe pour faire mignon dans le dictionnaire ou pour gagner quelques points au Scrabble. La vraie liberté, là. La pure comme de l'eau de glacier. Pas celle qui permet aux trolls de dire ce qu'ils veulent sur la toile en brandissant leur impunité quasi diplomatique. Nenon. Je parle ici de l'autre liberté, celle des licornes qui sautent par dessus les arcs-en-ciel, la crinière tressée au vent, sans se préoccuper de piétiner votre jardin de ses sabots. J'envie pour quelques secondes le jeunot à la bière d'oser enfreindre la loi pour le simple plaisir de prendre quelques gorgées sur un trottoir d'une rue non passante.


La liberté des uns s'arrête là où celle des autres commence, on me l'a toujours dit. Pas vous? Si on analyse un peu cette idée, on se rend compte du ridicule de l'affirmation. La vraie liberté ne s'occupe que d'elle-même! En quoi être libre nous oblige à considérer autrui? Au contraire, si on veut être libre, on peut décider d'appliquer les règlements... ou pas. Être libre, c'est agir sans contraintes, sans idéologies, au gré du vent, de nos impulsions et de notre «p'tit cœur après neuf heures [1]». Et des règles saugrenues (pour ne pas dire connes), il en pleut comme ces orages d'automne. On en est détrempé. Ce n'est pas compliqué: Nous sommes des êtres régulés, réglementés, organisés au quart de tour par des fonctionnaires que ne comprennent pas qu'on ne devrait pas faire de règles pour les exceptions, du moins pas en théorie. En même temps, on gère ça comment, une exception? On lui fait les gros yeux? On le fout au cachot? On lui fait la morale? Et s'il n'y a pas de règle, est-ce du laxisme? Par exemple, si une compagnie de restauration X n'inscrit pas «Attention: Café chaud» sur les verres jetables... Doit-on l'y obliger, sous peine de la poursuivre en cas de brûlure grave d'un client? Me semble que si tu bois un cappuccino, tu le sais qu'il est chaud, à moins d'être complètement déconnecté de la réalité ambiante (j'allais dire taré mais je retire mes paroles), d'être dans la lune, mais alors là, enfoui profondément dans un de ses cratères, ou d'avoir des papilles gustatives atrophiées par un abus de piments habaneros ou autre aliment de destruction massive.


Des zinzins abuseurs de bonne foi, il y en a moins qu'on le pense, en fait, mais quand ils se mettent à l'œuvre pour faire c-h-i-e-r le peuple, ils n'y vont pas de main morte et ça donne l'impression qu'ils sont une véritable armée révolutionnaire. On peu aisément comprendre que sans lois, ce serait l'anarchie en deux temps et trois mouvements. Pour initier une guerre, on n'a besoin que de quelques agitateurs convaincants (c'est à dire, des grandes gueules) et pour avoir une belle petite loi bien chiante, ça que ne prend qu'une poignée de râleurs avec une voix portante s'autoproclamant les porte-paroles solennels d'une société souvent trop silencieuse. Ainsi, la planète entière a vu naître des lois des plus loufoques imaginées par des illuminés en mal de contrôle et/ou de célébrité, comme cette superbe entrée au code criminel canadien: « Actes destinés à alarmer Sa Majesté ou à violer la paix publique [2].


49 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, volontairement, en présence de Sa Majesté :


a) soit accomplit un acte dans l’intention d’alarmer Sa Majesté ou de violer la paix publique;


b) soit accomplit un acte destiné ou de nature à causer des lésions corporelles à Sa Majesté.»

What the F word! Déjà, créer une loi spécifique pour la reine, c'est le comble de la bizarrerie. Si la reine est un être humain comme les autres, les lois canadiennes existantes protégeant son intégrité physique devraient amplement suffire. Mais non, sapristi! Il fallait que la queen ait sa loi À ELLE. Et quelqu'un un jour s'est levé avec l'envie irrésistible de non seulement protéger cet être suprême, mais d'empêcher en prime quelconque bouffon digne du nom de lui faire faire un saut à la sortie des toilettes publiques ou elle était allée faire son petit pipi royal. «Alarmer la reine»... Ça peut avoir le dos large, ce p'tit bout de phrase-là. Alarmer comme inquiéter, ou comme effrayer... J'imagine le mec qui fait semblant de faire une jambette à sa Majesté lors d'une procession et qui se ramasse en tôle pour des années. Ne riez pas: La loi le permettrait. Perso, je trouve ça plutôt rigolo de pouvoir me cacher derrière un rideau et surgir au passage de la reine en lui beuglant un «whoaaaaaa!» avec ma plus belle voix de chanteuse de Death Metal. Mais comme je suis une bonne petite fille bien sage, je vais m'abstenir, car je ne veux pas aller retrouver Jeanne et Shandy à Lietteville [3] et manger du macaroni blanc pendant trois ans.


Dans un tout autre ordre d'idée, si vous ne le saviez pas encore, notre si charmante Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec que l'on aime tant réglemente tellement les concours, leur imposant des taxes un brin inusitées et des normes d'enregistrement uniques en leur genre, provoquant l'exclusion de la province de Québec de la plupart des foutus concours pancanadiens et même mondiaux. J'ai déjà lu dans les règlements d'un concours lancé par une compagnie de téléphones cellulaires fruitée, en honneur d'un nouveau lancement de produit, que le tirage de cadeaux était ouvert à vingt-deux pays, dont le Canada... à l'exception du Québec (oui, oui, vous avez bien lu!). Avec des lois de même, on a presque l'impression que le Québec est un pays tellement il est distinct! Ça pourrait être pour le meilleur... mais quand je n'ai pas le droit de gagner une paire de billets pour le spectacle de mon groupe fétiche toutes dépenses payées parce que je suis Québécoise, c'est pour le pire. Ça me fait royalement dire des gros mots sales. Tenez-vous le pour dit: Vous organisez un tirage? Aussi bien ne l'ouvrir qu'au Nouveau-Brunswick tout de suite. Ainsi, vous éviterez d'être un vilain contrevenant pas gentil.


La legge è legge [4] comme diraient mes amici italiani. Et comme on vit dans une société de droit, on se doit de respecter la ligne souvent très fine entre notre furieuse envie et notre légitimité à agir. Pas de fêtes après vingt-trois heures, si on ne veut pas une amande salée. Pas le droit d'avoir un pitbull, même si notre toutou est toujours en laisse avec sa musolière et tout le kit et qu'il est dressé professionnellement. Pas le droit de fumer sa clope sur le trottoir. Parce que c'est une clope. Pas le droit de flâner (maintenant, définissez-moi clairement ce qu'est le flânage, s'il vous plait). Pas le droit de colporter (du moins chez moi, rappelez-vous-en, car mes vilains carlins bien féroces vont vous japer après jusqu'à vous rendre sourd comme un pot.). Pas le droit de çi. Pas le droit de ça... C'est barbant à mort. Si toutes les lois étaient logiques et justifiées, la vie serait belle et aisée. Nous ne serions pas plus libre, mais nous serions moins ridé. Mais c'est sans compter sur certains malfrats qui, une fois en position de pouvoir, créent des lois à leur avantage où à celui de leurs «ti-namis [5]». C'est dans la nature humaine, il faut croire. Et c'est sans tenir compte des innombrables règles que l'on s'impose à soi-même en pensant que tout sera plus convivial ainsi. Mettons dans cette catégorie fourre-tout tous les : « Tu n'iras pas là, tu ne sortiras pas seul... ou avec lui, tu peux jouer au hockey une fois par semaine, mais juste une fois, tu dois manger tes cinq portions de fruits et légumes par jour, tu devrais prendre un seul café le matin, toi le speedé, tu dois aller au gym trois fois par semaine, tu dois résister à l'appel de la tablette de chocolat qui crie ton nom depuis son spot dans le garde-manger...». Oui, j'aimerais être le blanc-bec au hoodie, ne serait-ce que pour un instant tout mini, et me caler une bière dans le fond du gosier sur la voie publique, sans réfléchir au geste. Et connaître cette sensation de liberté que j'imagine inégalable. Mais ça n'arrivera pas. Parce que je n'en ai pas le droit d'être libre, moi.




[1] expression tirée des parole de la chanson «À qui le p'tit cœur après neuf heures», de Roger Miron.


[2] S.R., ch. C-34, art. 49. Code criminel canadien.


[3] Lietteville, prison fictive crée dans le cadre d'Unité 9, une série télévisée québécoise.


[4] La loi c'est la loi, en italien.


[5] amis, copains.



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