«Je suis voisin de ce monde pour un instant, et aujourd'hui ça coïncide que toi aussi tu es ici. Coïncidences si étranges de la vie. Tant de siècles, tant de mondes, tant d'espace... et coïncider.» (Coincidir [1], - Fernando Delgadillo González)
Monsieur Larousse [2], ce cher ami qui sait toujours me dépanner quand j'en ai un furieux besoin, me définit gentiment le verbe «coïncider» de plusieurs façons rationnelles, dont trois toutes simples qui me plaisent plus que bien. Voici ce qu'il m'en a susurré:
1. «En parlant de deux surfaces, de deux objets ou deux formes, correspondre point par point, pouvoir se superposer, se
recouvrir.»
2. «Arriver, se produire en même temps, en parlant de quelque chose.»
3. «S'accorder en tout point avec quelque chose, concorder, en parlant de quelque chose.»
Larousse nous raconte aussi que l'étymologie du mot «coïncider», en latin médiéval: coincidere, veut dire tomber ensemble et viendrait de incidere, le verbe tomber. Tomber ensemble... Là, c'est moi qui deviens moins rationnelle que Larousse et mes pensées s'emballent de tant de musique à mes oreilles. N'est-ce pas une sublime idée que de tomber ensemble? Je présume que la chute est plus moelleuse ainsi. On tombe ensemble, on déboule la pente, l'un sur l'autre, amoncelés, amalgamés, empilés en harmonie sur un petit bout d'espace-temps à vibrer sur la même longueur d'ondes en totale communion. On a les deux pieds bien ancrés dans la même flaque de boue. Je viens officiellement de m'amouracher de ce joli mot avec ses mignons petits trémas sur le premier «i», juste pour être encore plus coquet que les autres. Tomber ensemble... Se superposer impeccablement, être au bon endroit au bon moment pour vivre quelque chose, avoir ce sens du timing ne frôlant pas seulement la perfection, mais l'incarnant de toutes ses particules, frôler n'étant même pas à la hauteur du concept illustré par le terme. Quand quelque chose coïncide, ne sommes-nous pas les êtres les plus heureux du monde, le temps d'un souffle d'instant volé à la routine quotidienne? Notre salive se transforme soudain en miel et pour quelques secondes, nous sommes des abeilles.
Peu importe nos tracas, nos joies ou nos attentes face à la vida, quand ça coïncide enfin, c'est comme si on nous enlevait une épine vénéneuse du pied. On se sent soulagé, ouf!, et paisible de nouveau, zen, et même si coïncider n'a pas qu'un aura positif et que ce que l'on récolte peut nous rendre furieux au bout du compte, on se félicite d'avoir enfin une réponse à quelques questions existentielles même si la coïncidence est surplombée de nuages gris. En gardant en tête le sens du mot, on peut présumer qu'il est tout à fait possible d'être en couple avec quelqu'un pendant des années, partager la même chambre, le même espace commun, mais ne point vivre au diapason, au même instant présent. Il ne suffit pas d'être ensemble pour coïncider. Dans un couple, un membre du duo peut chercher la stabilité et l'autre l'évolution, le cheminement. La durabilité d'un couple ne signifie donc par qu'il coïncide, si on suit ce raisonnement. Coïncider, c'est faire un face à face avec l'incommensurable beauté du monde, même si ça fait par moments saigner des yeux de la regarder.
Maintenant que l'on sait ce que coïncider signifie, observons d'un peu plus près le mot «coïncidence». Larousse (encore lui!) nous en parle comme étant une «rencontre fortuite de circonstances; [d']événements qui se produisent en même temps.». Tu es né par coïncidence, rien de plus, rien de moins. Penses-y juste un peu. Pour que tu sois né, il aura fallu que tes ancêtres existent, qu'ils se trouvent sur le même sacrosaint chemin ensemble et ce, au moment opportun. Il aura aussi fallu que tes parents se rencontrent et se zyeutent un tout petit peu dans les circonstances les plus optimales possibles, et qu'à un moment bien précis, ils copulent joyeusement jusqu'à procréation. Non seulement leur «gnaca-gnaca» devait être fait à l'instant où ils l'ont exécuté, mais en plus, le bon petit champion spermatozoïde devait gagner la course de sa vie pour que tu sois toi dans la splendeur de tes vertus et dans l'ignominie de tes tares. C'est ce qu'on appelle communément l'effet papillon. Puis, tu es né dans un concert de braillements aigus et te voilà ici aujourd'hui à lire ces lignes et à te demander qui aurait pu naître à ta place si quelqu'un quelque part dans la chaîne avec hésité une seule mini seconde à jouer le premier rôle qui lui était destiné. Tu as grandi, tu as évolué, tu as fais des choix, ce qui fait que tu es cette personne-là, ce dude-là, cette mam'zelle-là et que tu t'avères un heureux (ou malheureux) mélange de toutes sortes de traits avec une bonne grosse poignée d'épices en prime. Tu as ta couleur, ta saveur, ton odeur et ton tempérament. Une telle coïncidence, être en vie, mérite d’être célébrée à chaque jour.
J'aime l'idée que la vie soit une coïncidence. Ça la rend excitante à souhait; on ne sait jamais ce que demain nous réservera, outre une pluie de surprises. Leonardo Sciascia, écrivain italien, a même déjà écrit que «les seules choses qui sont sûres en ce monde, ce sont les coïncidences.». L'amour, en soi, en est une é-nor-meeee. Trouver la perle rare, c'est loin d'être aussi évident que ça en a l'air à prime abord. Déjà, veut-on vraiment une perle? Pourquoi chercher une perle si nous ne portons pas de colliers? Certains ont besoin de feu bien hot, d'autres de chocolat fondant et onctueux, certains aiment les diamants, incassables et éternels. Ou encore le silicone, flexible et protecteur. Je n'ai rien contre les perles, mais pourquoi devrait-on tous en être une? Je ne veux pas être couchée dans une huître en attendant d'être trouvée. Il n'y a pas tant de séparations pour rien dans le vrai monde, après tout! Même si le concept d'âme sœur est un peu poussé par les cheveux, il n'en reste pas moins que de trouver quelqu'un qui est un baume pour nos angoisses, et qui participe avec joie à nos délires tout en voyant la vie du même œil que nous, ce n'est pas si évident. Après tout, pourquoi n'y aurait-il qu'une seule personne parfaite pour nous en ce bas monde? Ça fait très «Cendrillon et sa chaussure de verre», cette idée d'âme sœur... Et bonne chance avec ça si ta demi-orange est dans le fin fond de la campagne chinoise quand toi, tu roules ta bosse à Montréal ou à Paris. Va chercher ton huître, astheure [3].
Parfois, on cherche partout, on questionne tout le monde, on explore les méandres de la toile sur des sites de toutes les réputations dans l'espoir de dénicher un partenaire, et on ne trouve que des grosses merdes puantes. Puis, magie!, THE partenaire de rêve nous saute dans la face. Et il est libre. Et il est intéressé. Et on a le temps. Et on sort en rancard. Et on flirte. Et ça fonctionne. L'amour naît et installe son nid entre l'autre et soi, à pas de lièvre ou de tortue. C'est ça, coïncider. Cupidon, le tireur fou de fléchettes d'amour, a beau être imprévisible et un peu tordu à ses heures, mais il ne nous a pas oublié. Et on avait les yeux grands ouverts au bon moment et dans le bon racoin de planète pour comprendre son stratagème insensé. Après tout, c'est en ne cherchant pas que l'on trouve, comme le dit si bien ma mère. Ça arrive si souvent à mon chum lorsqu'il vire la maison à l'envers pour trouver ses maudites clés.
Le succès et la célébrité tels qu'on se les imagine «glamoureusement» sont aussi une coïncidence, peu importe le travail acharné qu'on mettra pour y arriver... ou pas. Bien de gens réussissent dans la vie sans le moindre effort et tu en connais certainement. On trouvera toujours quelqu'un pour critiquer: «Lui, il a beaucoup de gueule, donc il passe toujours entre les craques du sofa» ou encore «Elle, elle est belle, elle a un avantage concurrentiel et le profil de l'emploi». On nage dans toutes sortes de stéréotypes et supposons que l'on n'a pas tout à fait tort (parce que ça peut arriver, des vedettes de vent!), il faut quand-même que ces gens coïncident avec des circonstances fantasmagoriques pour en arriver à leurs fins. La célébrité, ce merveilleux monde parallèle dont tout le monde rêve à un point ou à un autre de son existence, n'est qu'un concours de circonstances, que l'on soit bourré de talent ou pas. Déjà, il faut qu'on nous trouve (tiens, encore le concept de la perle rare enfermée dans un coquillage…).
Se faire trouver, ce n'est pas simple. Ça prend un chasseur de têtes sur sa route rocailleuse au juste moment, ou l'ami d'une quelconque personne d'influence qui pourra nous introduire dans l'univers désiré (si elle ne nous demande pas trop de faveurs en retour). Même si on connaît par cœur l'itinéraire du matin dudit agent et que l'on tente de provoquer le destin en lui rentrant dedans «par accident», il faut que ce matin-là, l'individu décide de suivre ce même trajet. Il ne doit surtout pas arrêter deux minutes pour acheter un café à la «binerie» du coin, ni retourner à la maison à la hâte car il a oublié son portefeuille. Et il faut être découvert dans un moment où l'on irradie de quelque chose de spécial, en plus. À quoi sert-il à la belle fille de six pieds qui rêve de mannequinat de croiser le chemin d'un agent, si ce jour-là, elle a le teint vert, elle morve sa vie, elle a des feux sauvages envahissants, passe son temps sur le bol et sent le camphre et la maladie à plein pif? Être un agent, je ne lui donnerais même pas ma carte du bout des doigts, de peur d'attraper ses microbes. Moi, les coliformes fécaux des autres...
On ne peut pas plaire à tous. Si tu cherches des amis, que tu es prêt à te prostituer pour en avoir et que tu veux que tout le monde t'aime d'amour sincère, tant pis mon kiki, car tes efforts ne te causeront que des rides supplémentaires qui te feront paraître plus vieux que ton âge et te donneront l'impression d'être en débalancement hormonal à l'année longue. Si tu as trois cent mille amis, tu n'en as probablement aucun véritable, et tu joues à la «guidoune [1]» de l'amitié. Coïncider avec quelqu'un, c'est savoir reconnaître les coups de foudre d'amitié qui surviennent quelquefois seulement dans une vie quand ils passent sous ton nez, mais c'est aussi savoir lire entre les lignes plus fripées des gens pour en extraire l'essence la plus grisante qu'ils ont à t'offrir. Derrière un visage sévère et un ton de voix impératif, il se cache parfois un grand cœur et une cascade de compassion. Pour coïncider, il faut vouloir cueillir ces fruits, malgré leur apparence bosselée et imparfaite.
Cependant, tout ne peut pas être que coup de foudre. Si tu attends après la foudre, tu vas te rendre compte qu'elle tombe pas mal aléatoirement et qu'elle cause une multitude de dommages collatéraux dont tu pourras amplement te passer. J'ai décidé depuis longtemps que l'amitié allait faire son chemin jusqu'à moi plutôt que l'inverse. Ça m'a permis de m'ouvrir à des gens fantastiques que j'ai laissé entrer dans mon territoire, car ils se trouvaient là, tout près, par inadvertance. J'ai décidé de me foutre comme de l'an quarante de ce qu'on appelle la différence culturelle, ne regardant que l'humain sous l'épaisse couche de mœurs et de coutumes dont on se vêtit de peur d'avoir froid. Alors, lorsque se présentent à moi les coïncidences de la vie, je suis déjà toute ouverte à les accueillir. Qu'à cela ne tienne, ça ne suffit pas pour coïncider. Il faut que l'autre soit tout aussi enclin à entrer quand tu ouvres la porte de ta chaumière, à défricher toutes les broussailles que tu as laissé négligemment croître dans ton jardin et à prendre le temps de te connaître comme tu le mérites. Si tout ça n'est pas, ça ne coïncide pas.
Contrairement aux autres types de coïncidences, la nature est plus prévisible qu'elle n'en a l'air, au cas où tu ne le savais pas encore. Et quand la nature s'en mêle... Ses réactions sont logiques et axées sur sa survie et son expansion, et l'homme étant en fait son principal danger, sa façon de lui répondre peut être assez tonitruante. Poséidon n'est pas le dieu des mers pour rien. On le sait, come on, que si les gaz à effet de serre augmentent, il va y avoir un réchauffement qui lui, causera des séismes et des tempêtes destructrices ainsi que la fonte prématurée des grands glaciers. La poignée de climatoseptiques qui existe encore est devenue une minorité non-crédible.
Cela dit, que cette colère de la nature arrive en plein pendant tes vacances au soleil, c'est une gros hasard bien sale et non pas ton karma (bon, ok, tu as peut-être couru après un temps soit peu, avoue, parce qu'il existe bel et bien une saison des ouragans dans l'Atlantique et tu as décidé de jouer à la roulette russe avec). Il faut apprendre de la nature. Elle ne fait jamais rien pour rien. Elle offre mille et une occasions à l'humain de coïncider avec elle, de fusionner, mais nous sommes trop occupés à marcher en regardant nos pieds, écouteurs aux oreilles à baragouiner du hip-hop et préoccupés par un surplus de travail qu'on ne veut pas voir croître. Pourtant, qui ne se sent pas apaisé par le bruit des vagues qui se fracassent sur les rochers, ou par l'odeur des premières roses sauvages? Qui n'a pas le sourire lorsqu'il trouve une talle de petites fraises, bien tapis sous la verdure des sous-bois? Qui n'aime pas le chant des rossignols? (Ok. Le bruit agaçant des pic-bois sur le poteau de téléphone devant la maison, ça me fait moins coïncider... Surtout à cinq heures du matin...)
«Quand toujours coïncide avec exister, l’être embrasse l’éternité.»… Cette citation de Rajae Benchemsi, m'émeut particulièrement et je l'interprète ainsi: Ce qui laisse des marques inoubliables dans notre esprit devient du coup éternel, du moins pour moi. Ces moments, pour que je puisse les vivre, il a fallu que je coïncide quelque part avec leur magie, et qu'elle se disponibilise pour moi sans pudeur. Et comme il coïncide que tu lis ce texte, je te souhaite l'éternité.
[1] traduction d'un extrait de la chanson Coincidir
[2] larousse.fr
[3] maintenant
[4] prostitué (e)