top of page

Lieux communs: Mon tour guidé des non-sens à bannir



«Les lieux communs ont un intérêt éternel.» (Joseph Joubert)

Qu'est-ce que ça mange en hiver un lieu commun, déjà? Bien du junk food. Si l'ami Larousse définit «lieu commun», appelé aussi «poncif», comme étant une réflexion banale, dépourvue d'originalité ou une idée reçue [1], on peut considérer que le concept couvre aussi les clichés et les préjugés généralement adoptés socialement, bien qu'ils ne soient pas toujours réalistes. Ce sont aussi toutes ces assertions, tous ces agencements de mots existant par le consensus social qu'ils évoquent, et utilisés pour réussir à convaincre la masse populi du bien fondé d'une idéologie, d'une décision, d'une réalité voulue. Un lieu commun peut donc prendre la forme d'un proverbe, d'un diction, d'une expression ou même d'une métaphore que l'on entend souvent, et qui sert à amplifier le discours pour le rendre plus crédible dans l'esprit populaire. Vois-le comme un cube Rubik dont certaines faces sont parfaites, mais pas les autres. Si on regarde vite, on pense que tout va, mais en fait, rien ne va.


Ceci étant dit, les lieux communs ne sont pas tous de jolies petites perles de phrases. Certains me tapent royalement sur le système nerveux, et je suis persuadée qu'ils te font aussi sourire béatement ou froncer les sourcils, surtout quand l'interlocuteur a déjà l'air d'un charlatan. Peut-être en utilises-tu aussi quelques uns et qu'avec du recul, tout comme moi, tu te dis que c'est du baratin de qualité premium? Qu'à cela ne tienne, j'ai décidé de te faire un palmarès de certains lieux communs qu'il faudrait bannir de notre langage, pour le bien de notre société qui devrait évoluer plus vite que ces idées d'une autre époque. L'ancien temps, c'est bien beau, mais dans les livres d'histoire, s'il te plait!

Le bipolaire détraqué


C'est la mode de «plugger» dans les médias qu'un assassin untel est bipolaire et que ce détail explique l'acte posé dans son entièreté. Euh non. Même au bureau, on entend les chuchotements et les spéculations à propos de tel employé qui «agit comme un bipolaire» avec ses sautes d'humeur. Quelqu'un fait quelque chose d'extravagant? C'est un bipolaire! Une fille change de chum [2] comme elle change de bobettes [3]? C'est une bipolaire! Joe Blo s'est acheté un campeur, mais n'a jamais fait de camping de sa sacrosainte vie? Man, il baigne dans la bipolarité! Il en pleut de façon diluvienne, des bipolaires sans histoires, tellement que ni toi ni moi ne pourrions deviner qu'ils le sont et ce avec quoi ils jonglent au quotidien pour équilibrer leur cycle de l'humeur. Pour un bipolaire détraqué qui dort une heure par semaine en hallucinant (et qui ne prend évidemment pas ses médocs), tu en auras dix autres qui auront une vie presque à l'image de la tienne. Oui, une bonne mère de famille comme toi, mais bipolaire. La bipolarité est un déséquilibre CHIMIQUE. Sans ce déséquilibre, tous les dudes que tu crois bipolaire à cause de leurs agissements atypiques ne PEUVENT PAS l'être, et elles sont donc juste disjonctées naturellement. Dans le monde, il y a plus de gens malintentionnés, indécis, émotionnellement déséquilibrés, impulsifs et colériques qu'il n'y a de bipolaires. Le risque que le fou-furieux dont tu parles ne le soit pas est donc plus élevé que l'inverse.

L'immigrant voleur de job


Certains groupes populaires dans l'opinion publique utilisent amplement ce lieu commun pour valider leur discours anti-immigration. On a souvent entendu le fameux «j'ai pas de job à cause des immigrants». Là, darling de mon cœur, il faut se dire les vraies affaires: On accepte des «importés», pour utiliser ton niveau de langage, parce qu'on a une population vieillissante et décroissante, et qu'on a des lacunes dans certains secteurs d'activités. Avec l'effarant taux de décrochage scolaire au Québec, il est normal qu'une certaine catégorie d'individus sans instruction peine à trouver du boulot, le diplôme d'études secondaires étant un pré-requis pour à peu près tout ce qui paie bien. Que le médecin soit mexicain ou made in Quebec, il y a plus de postes dispos que d'appliquants, en médecine! Si tu veux être soigné, tu as besoin des médecins d'ailleurs. Pour ce qui est des emplois au salaire minimum, ce sont souvent les immigrants qui acceptent de les prendre. Ces places sont difficiles à combler à même les «de souche» qui n'hésitent pas à les dénigrer. Torcher des tables dans une cafétéria, faire du télémarketing dans un centre d'appel, laver des autos dans un garage ou faire cuire des frites dans une «roulotte à patates» en pleine métropole, c'est crevant, et il faut avoir envie de travailler dur pour occuper ces emplois. Si certains immigrants n'occupaient pas ces places, peu de «natifs» se porteraient volontaire. C'est du cheap labour tristement utile.

La fille attirée par le bad boy


On le sait tous (toussotements), les belles filles naïves sont friandes de mauvais garçons. Ils les attirent comme des aimants... Permet-moi de rire un bon coup, car à la base, on ne sait même pas c'est quoi, un mauvais garçon! Est-ce le Danny Zuko de Grease? Le Michael Corleone d'Al Pacino dans Le Parrain? Ou le p'tit voisin «courailleux [4]» qui butine d'une rose à l'autre? Le vendeur d'ecstasy ou le manipulateur compulsif rencontré au bar? Des mauvais garçons, il y en a. Shit happens. Ça arrive qu'on en croise, et il est vrai que certaines personnes ont la fâcheuse habitude de répéter des patterns en s'entichant de ces gars-là. Par contre, l'inverse est aussi valable. Les mauvaises filles pullulent tout autant et trouvent aussi chaussure à leur pied «pédicuré». Les gentilles ne sont pas attirées par défaut par les méchants. Cette équation ne correspond pas à la réalité générale. Mais quand une lady fréquente un mécréant, ça fait gaspiller beaucoup de salive, ce qui alimente le cliché comme l'oxygène le feu. La minorité bruyante... (Ça aussi, c'est un magnifique lieu commun, trouves-tu?).

Un de perdu, dix de retrouvés


D'où ça vient, cet adage-là, nom d'une pipe? On dirait que c'est sorti tout droit de l'imaginaire d'un vieux mononcle [5] hippie. On se laisse, on a le cœur en miettes, on a soudain l'impression d'avoir moins de sex appeal, plus de cheveux gris et on ne se rappelle plus comment «cruiser» comme dans le bon vieux temps, mais on aurait une prolifique période de dating juste après, avec la bagatelle et tout le kit? C'est vrai que maintenant, on peut trouver un partenaire d'une nuit en quelques clics de souris, mais de là à dire qu'après une rupture, c'est la corne d'abondance dans la vie et au lit, si tu n'es pas un beau pitou coupé au couteau ou un beau minou bien roulé, ça reste utopique. Mais c'est immanquable, on trouvera toujours un quelqu'un ou une quelqu'une pour nous saouler les oreilles avec cette charmante phrase d'encouragement. Lâche-pas la patate, l'avenir est généreux et c'est faaaaaacile de trouver la perle rare (#not).

Elle n'a pas vécu sa vie de jeunesse


Ah oui? Et tu sais ça comment, toi? N'est-ce pas plutôt ton impression basée sur l'idée que tu te fais du passé de quelqu'un? La vie de jeunesse, elle a le dos large en titi. On dirait que toutes les folies qu'on peut faire après l'âge de trente-cinq ans, c'est sa faute, à cette belle petite vie qu'on n'a pas vécue. Aucune chance que ce soit simplement parce qu'on a évolué, qu'on a envie d'essayer des machins, qu'on est plus nantis, donc on peut ENFIN se permettre un écart ou deux ou trois. En quoi a-t-on l'obligation de vivre sa vie de jeunesse pour avoir le droit de justifier une vie plus endiablée après un certain âge? Et vivre sa vie de jeunesse, est-ce que ça veut dire prendre de la drogue, virer des grosses brosses à s'en vomir les tripes, coucher à droite, à gauche et au centre, flamber sa paie, sécher les cours, partir en autostop et toute une ribambelle d'autres trucs à expérimenter au moins une fois? Ou ça veut simplement dire qu'on suit la vie là où elle veut bien nous mener? Et si j'ai «vécu», puis-je augmenter le niveau d'une coche à chaque décennie sans que ça passe mal?

La fatalité


«C'est toujours à moi que ça arrive!», «C'est le karma!», «On dirait un déjà-vu», «C'est la fatalité»... Oh! Les beaux lieux communs d'auto-apitoiement! Il me semble qu'on dit tous la même chose, à notre heure. C'est vrai, on dirait que chaque personne a l'impression qu'elle est la victime d'un mauvais sort du destin, ou que la main de Dieu (ou du diable) s'acharne sur elle plus que sur n'importe qui d'autre. Même moi, je radote des: «Pas encore!», en roulant des yeux comme une pauvre petite demeurée qui a mis son cerveau à off. On a le don de penser qu'on est le centre de l'univers, nous, les humains, on se tape ainsi occasionnellement une crise de nombrilisme aigue à coup de «moi, moi, moi», et on s'arrache une touffe de cheveux pour appuyer le sentiment.

«Dans les p'tits pots les meilleurs onguents»


Une autre affaire qui ne fait aucun sens. Quoi! Les p'tits zizis sont mieux que les trompes d'éléphants? Les petits seins sont mieux que les grosses oranges de Floride? Les petites personnes valent mieux que les géants? Le minuscule pot de crème antirides à cent piastres donne plus de résultats que le plus gros pot à cinquante? Qui a décidé que petit, c'est mieux? C'est sûr que lorsque je regarde Sebastian Giovinco, alias le nain de jardin du TFC, se faire aller les ischio jambiers sur un terrain de soccer, je me dis que lui, il a compris la patente. Bon, d'accord, on comprend qu'ici, l'idée sous-jacente du dicton est de nous persuader de préconiser la qualité à la quantité, mais quand je vois Ashley Graham sur le runway, il me saute aux yeux qu'on ne devrait jamais se fier aux apparences. Ici, le grand format est fichtrement mieux que bien d'autres, plus menus. Ashley for pres!

Grosse corvette, p'tite quéquette


Pour rester dans le thème «format», ce slogan publicitaire est basé sur un lieu commun qui met l'accent sur l'idée que ceux qui montrent beaucoup cachent des secrets. Or, des secrets, on en a tous, qu'on soit discret comme une ombre ou clinquant comme Madonna. Que certaines personnes soient exhibitionnistes de leurs avoirs ne signifie pas qu'elles utilisent leur visibilité pour détourner l'attention de leurs faiblesses ou leurs vides. De toute façon, on est tous «flasheux» [6] à notre heure, chaque être humain voulant à un moment où un autre montrer ce qu'il a, comme pour prouver au monde entier sa valeur. Ceux qui disent «pas moi, je ne fais pas ça» sont les pires, car ils nagent en plein dans ce déni à la «mords-moi le nœud» qui finit toujours par laisser des grosses cicatrices pas très jolies! D'ailleurs, en quoi le fait d'avoir un gros char aurait un lien avec la taille de la queue? Peut-être que ça prend une grosse voiture pour être capable de traîner une trompe d'éléphant? Et peut-être que la trompe d'éléphant est trop lourde pour une Smart, qui aurait peine à rouler avec cette surcharge? Tu ne le sais pas et moi non-plus.

«Le bonheur des uns fait le bonheur des autres.»


Euh non. J'aimerais que ton bonheur fasse le miens, mais ça ne fonctionne pas comme ça, la vie. Oui, je suis contente pour toi si tu es envahi par les effluves de bonheur les plus délicates à longueur de journée, mais MON bonheur, il n'y a que moi qui puisse me l'offrir. C'est un truc «à moi de moi», cette bibitte-là. Et puis, il y a la jalousie... Les gens crèvent trop souvent de jalousie lorsqu'un proche patauge dans une marre de bonheur, et que l'envie est un tueur psychopathe de félicité. Parce qu'on le sait, être heureux, c'est plus facile à dire qu'à faire et on tombe vite dans les «pourquoi pas moi?» trop lyriques. Le bonheur est une affaire individuelle, car même entouré des meilleurs êtres au monde, des caviars d'individus, c'est dans notre tête que ça se passe. C'est notre cerveau qui tend à nous faire des free games pour noyer le poisson.

«Ta liberté arrête là où la mienne commence.»


Mon lieu commun préféré, sans aucun doute! C'est la phrase qui sort souvent de la bouche des gens qui sont d'accord avec une nouvelle loi, un nouveau règlement, que ça fasse du sens ou pas. Si on considère que ma liberté arrête là où la tienne commence, on peut aussi dire que la mienne commence là où la tienne arrête. Or, être libre, c'est justement utiliser son arbitre intérieur pour prendre des décisions existentielles ou ne pas en prendre. Si je décide que je trouve insupportable de te voir boire un café McDo dans ma face, vas-tu aller le boire dehors ou tu vas m'envoyer voir ailleurs si j'y suis? Je parie que tu vas me dire de prendre mon mal en patience, sauf si t'es un être soumis et qui cherche à tout prix l'approbation d'autrui. Si cette liberté qui nous est si chère a une limite, elle perd son essence, come on! Les lois sont justement faites pour t'empêcher d'être libre et m'empêcher d'être libre. En ce sens, ta liberté n'a plus de lien avec la fin ou le commencement de la mienne, mais bien avec le bon vouloir de nos décideurs.


Clichés, préjugés, extravagantes métaphores imprimées dans l'imaginaire social, les lieux communs que tu visites au quotidien en mènent souvent large comme le firmament. Je tente à tous les jours de m'en rappeler et ainsi éviter de devenir à leur merci, me pliant à leurs caprices du moment comme un pauvre chaise de patio déglinguée. Car comme a écrit Pete Dexter: «Des clichés. C'est ce qui a remplacé la réflexion.». On réfléchit ou on suit?


[1] larousse.fr


[2] petit ami


[3] slip


[4] coureur de jupon


[5] tonton


[6] démonstratif, flashy


#JANV18L1

| par La vie est un piment

S'inscrire à ma liste de diffusion

Voyage | Style de vie | Bonne humeur | Piment

bottom of page