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Je suis malade



«Couche-toi et sois malade, tu sauras qui te veut du bien et qui te veut du mal.» (Proverbe espagnol)


           Ce n’est pas cette semaine que je pourrai appliquer ce charmant proverbe, car je suis malade ET seule en voyage, pauvre de moi. Du coup, je galère et ça me rend d’humeur exécrable, je préfère vous en avertir. Je testerai volontiers l’attachement de mes proches une autre fois, et dans des circonstances plus joyeuses et moins ravageuses.


              Alors voilà.


        Je viens de passer une interminable nuit blanche à l’hôtel à Montréal dans mon lit king avec quatre oreillers en guise de compagnie, dans une chambre énorme pour un si petit (bon, ok, pas si petit) bout de femme en voyage toute seule. Une nuit blanche dans mon univers, ça se passe ainsi : Je me tourne, me retourne et me re-retourne dans le lit, je mets mes chaussettes, j’enlève mes chaussettes, je mets un pyjama, je l’enlève et reste en bobettes, je craque mes doigts, je gruge ma manucure, je mets de la musique, puis non, j’en ai assez de la voix de Zaz et de Göksel, je jette mon Ipod vintage au bout du monde, je joue à Candy Crush, une game, deux games, trois games, dix games, je tweete un peu, beaucoup, passionnément et à la folie, je ferme les rideaux, j’ouvre les rideaux, je vais faire pipi, je cale une bouteille d’eau et mange une grosse poignée de Jelly Beans en espérant tomber sur un au pop-corn (non, j’suis pas enceinte. J’aime juste ça, le pop-corn.). Des reprises de «L’addition svp» jouent à Zeste Télé, et je regarde donc en rafale des Français s’entretuer pour 3000 Euros. Je traduis un bout de document généalogique du français à l’espagnol pour aider une amie mexicana. J’écris un paragraphe. Je l’efface. Je le remplace par une idée. Je l’efface. Je pense au boulot. Je lâche un ou deux jurons. Puis, je me tape une conversation très très nocturne (jusqu’à 4h20 du matin, pour être précise) avec peu importe qui se trouve en ligne dans le monde à cette heure-là.  Le décalage horaire est la meilleure invention de l’univers pour les insomniaques. Nos nuits immaculées sont douces comme du duvet d’oie lorsqu’on sait qu’il fait déjà soleil à Helsinki.


             Puis, le soleil se lève entre les buildings du centre-ville et on se demande comment on va passer à-travers la journée qui pointe le bout du nez. L’énergie est au plus bas degré. La pile va manquer de jus si on ne la connecte pas dès que possible. J’en suis là.


              Un filet de voix éraillé sort de ma petite bouche entrouverte. C’est mieux qu’un filet de bave, mais à peine. Une chance que j’ai but du Jack au miel hier midi, parce que je n’en aurais plus du tout, sinon. On le sait, le miel, ça aide à préserver la voix (en tout cas, Jack le sait, lui).  Mes sinus sont gonflés comme la gorge d’une grenouille qui coasse dans son marais douillet. Je fais presque des «waaabit waaabit» avec mon nez, c’est peu dire.  J’ai les yeux qui coulent tels des jaunes d’œufs à la coque ayant cuits trois minutes et demi, et mes larmes laissent dans leurs sillons une humide traînée du mascara very black bon marché que j’ai omis d’enlever hier avant d’aller au lit. Ma gorge est le Sahara. Mes lèvres sont le salar d’Uyuni. Mes joues sont blêmes comme une journée nuageuse d’hiver. C’est un bad hair day. J’ai des cernes impossibles à camoufler. Et Ô! Malheur! J’ai mes règles. Ce n’est pas un détail en trop. Ça explique mon humeur à décaper le bois.


             Je suis malade. Complètement malade. Même si je ne suis pas Lara ni Lama. Même si ma mère ne sortait pas le soir. Et même si je ne suis pas seule avec mon désespoir [1]. J’ai fait mon possible pour me soigner, je me suis rincé le nez à l’eau salée, pris de l’ibu, un bain chaud, mais là, c’est l’enfer sur Terre, et je l’avoue, ce matin, le diable est aux vaches! Bon, vous allez me dire en roulant des yeux : «Heille, la grande, il y a des gens qui ont le cancer dans le monde. La malaria. Le Parkinson. La fièvre Ébola. La peste. La lèpre. L’influenza. Le tétanos. Le Sida.» Je sais, je ne fais pas pitié du tout avec ma p’tite sinusite de bébé lala, les yeux larmoyants qui en découlent et mes oreilles un peu bouchées qui font que je parle trop fort presque à temps plein. Pis pour la gorge, j’ai couru après. J’avais juste à sortir avec tuque et mitaines comme le commun des mortels et à ne pas faire de l’attitude à ceux qui m’avaient grondé après m’avoir vu avec des engelures sur le croquant des oreilles. Après tout, le printemps, c’est encore une prévision à la con, même si le calendrier nous susurre le contraire. Jusqu’à nouvel ordre, il y a de la neige dehors et un petit vent agaçant. Mais comme je suis en perpétuel déni de l’hiver…


             Parce qu’il fait un froid de canard, il faut qu’on se le dise. Je suis d’habitude enchantée d’être de passage à Montréal, une de mes villes chouchous, mais cette fois, j’ai un goût d’oranges de Floride en bouche, et il me semble que je prendrais aussi une petite dose de Mexique, tant qu’à voler vers le Sud comme une hirondelle fuyant l’hiver. Qu’à cela ne tienne, je suis ici, les membres lourds, la tête dans un nuage brumeux et les idées juste assez claires pour vous fabriquer ce texte du bout des doigts. J’ai l’estomac assez barbouillé pour m’empêcher de manger, mais juste assez en état pour avoir faim quand-même. Non mais, c’est quand on est malade qu’on teste le mieux la fertilité de son imagination. On se met à faire des plans, des projets, on se dit que lorsqu’on ira mieux, on va casser la baraque sans se faire prier, qu’on va rattraper le temps perdu et comme on n’a pas de DeLorean alimentée au plutonium pour le remonter, on passe plutôt en mode multitasking pour tout faire, rapidement. C’est là que j’ai le plus envie de vacances, de Japon, de Maroc, et que certaines personnes que j’endure habituellement pour la forme me tapent le plus sur le système nerveux. Quand je reviens d’une convalescence, j’ai la mèche courte. Très courte. Tassez-vous de mon chemin! Attention, chien méchant! À vos risques et périls. Do not disturb! Défense d’entrer. Pas de colporteurs. Danger, femme en SPM qui revient d’une épopée comateuse dans son lit d’hôtel et qui se nourrit de pizza cheap depuis deux jours. Je vous aurai avertis.


            Je suis une mauvaise malade. Plaignarde, impatiente, grognonne, bourrue… Je fais la gueule, je grommèle, je ronchonne, je bougonne, je suis bête comme mes deux pieds. Je ne dis pas merci. Les simples craquements du plancher me sortent de mes gonds. Je suis un cas de divorce! Dieu merci, mon conjoint a la tolérance facile. Il me bichonne et s’éclipse ensuite, probablement pour éviter le pot qui précéderait toute fleur que je pourrais bien avoir envie d’offrir. Seule dans ma chambre d’hôtel, je ne peux que m’en prendre à moi-même avec mon caractère malcommode et mes élans démesurés de mauvaise humeur. Je deviens le diable en personne, mais un diable seul n’est pas un risque pour l’humanité, c’est au moins cela. Alors, aujourd’hui, la vie se contente des quatre murs de ma chambre, de sa grande baignoire inclinée, d’un livre de poésie et du sommeil que je n’ai pas eu hier. Je laisse les hormones jouer sur mon humeur, vu que ça n’affecte personne d’autre. C’est le cadre idéal pour être kaput. Imaginez! Même si je veux maugréer et tempêter, je n’ai personne sur qui passer mon fiel. 


           D’accord. J’ai exagéré un peu mon aptitude à être une affreuse malade, pour les besoins de ce texte. Ou peut-être pas… C’est que seule dans cette chambre en ce dimanche glacial à l’aube d’un printemps qui tarde à arriver, j’avais envie de soigner mes maux à grands coups de jolis mots. J’ai trouvé ce proverbe indien qui nous raconte que s’il y a des remèdes pour la maladie, il n’y en a point pour la destinée. Parfois, la vie nous pousse dans une direction, et peu importe vers où on aimerait bien la faire bifurquer, rien n’y fait. En ce sens, ma pauvre petite sinusite de rien du tout n’est pas le plus grand mal du monde et il y a des microbes bien pires à attraper… comme l’abandon, l’immobilisme et la tristesse chronique. Ma courte journée de grande malade à l’hôtel, c’est de la petite bière, alors.


            Maintenant, laissez-moi me moucher qu’on en finisse.

[1] Allusion à la chanson «Je suis malade», de Serge Lama.

| par La vie est un piment

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