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Vie d'aéroports


«Les aéroports étaient des endroits étranges : lorsqu'on y pénétrait, on n'était pas encore parti et, pourtant, on avait déjà quitté le pays dans lequel on se trouvait...» (Patrick Cauvin)


Si j'avais un seul endroit où passer le reste de mes jours, l'entièreté des secondes de cette vie sans exception aucune, ce ne serait ni sur une plage de Bora Bora ni dans les musées de Paris. Ce ne serait ni dans un parc national ni dans un théâtre. Encore moins tranquilita chez moi à faire de la popote. Ce ne serait pas devant la plus délectable poutine italienne de l'univers ni à boire du champagne entre amis jusqu'à minuit et demi.

Nah... Si je le pouvais, je le passerais dans un aéroport. Un big aéroport, là. Un mastodonte. Un aéroport international ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec des milliers d'abeilles peuplant la sacro-sainte ruche. Je ne sais que dalle ce que j'y foutrais, mais ça n'a pas d'importance. Peut-être préposée à l'embarquement? Il me semble que j'aimerais ça, scanner des billets zone par zone à longueur de journée et souhaiter bon voyage à des tas de personnes à plein temps avec un grand sourire de broché sur ma tête à claques. Bon. Tu vas te dire que ça manque peut-être un peu de défi, mais je ne suis pas du tout d'accord. Être courtois, roucoulant mais ferme avec des centaines d'inconnus pas toujours sympas, C'EST un défi. Sinon, ne pourrais-je pas être employée du service à la clientèle au comptoir des bagages perdus? Ou simplement bosser comme observatrice, tiens. Je suis certaine que je pourrais trouver de l'inspiration pour un mignon petit texte par jour jusqu'à la fin des temps tellement il se passe de choses abracadabrantes dans les terminaux bondés des aéroports de ce monde. Les gens, c'est ma passion. Et il se trouve qu'il n'en manque pas au quotidien, ici.


Déjà, je suis friande de certains aéroports plus que d'autres. Ils me rappellent l'effervescence liée à l'acte même du voyage et s'avèrent la quintessence du multiculturalisme. Et moi, le multiculturalisme, ça me branche comme si j'étais une lampe de chevet avec un bel abat-jour en guise de couvre-chef. Quand je suis en transit entre deux vols, j'adore me promener dans les moult kiosques pour zyeuter avidement ce que je n'ai pas chez moi et qu'on trouve ici. On fait des découvertes, on achète des souvenirs... J'aime «un peu beaucoup passionnément à la folie» l'aéroport Trudeau, car je l'ai tant fréquenté et il me rappelle de chouettes souvenirs. J'y ai même une routine que je me plais à dupliquer dès la première occasion. J'y arrive tôt, je passe le contrôle de sécurité plusieurs heures d'avance (je ne peux m'en empêcher) et je vais m'avachir sur une banquette du Archibald pour y boire une Chipie (juste parce que la fille sur la canette est rousse comme moi) et manger un gros nacho au poulet (que je ne touche qu'à moitié, mais c'est un incontournable). Et là, je regarde les gens passer, je tends l'oreille pour saisir leurs conversations au vol, et je souris en coin comme une pauvre idiote.


Parce que heille, on va se le dire, c'est l'endroit parfait pour observer l'humanité, un aéroport. On y voit passer ce couple un peu loufoque, dont les deux membres sont habillés pareil, comme Dupont et Dupond. Ils ont la même démarche «pingouin», la même casquette sans fond, le même bas blanc trop haut et de l'eau dans la cave. C'est beau l'amour, sans farce! Et l'amour dans un aéroport, il me semble que c'est exponentiel. Tout est plus intense quand on parle d'émotions aéroportuaires: La joie de se revoir, les larmes d'adieux, cette solitude indescriptible suite à la dernière accolade, au dernier baiser, l'excitation incontrôlable de partir au bout du monde sans se rendre contre qu'en fait, on piétine déjà de nos petits pieds «pédicurés» le bout du monde de quelqu'un d'autre... Des familles se chicanent, exténuées par la longue attente suite à un énième vol retardé, le bébé pleure, il perce ses dents et a la couche pleine de fientes puantes, il cherche le sein ratatiné de maman qui n'a pas de montée de lait tellement elle est crevée. Les plus grands moments d'exaltation occurrent à l'aéroport, comme les pire drames personnels. On peut s'y sentir libre comme une mouette qui se prépare à s'envoler, ou prisonnier comme un pinson en cage.


Lorsque je suis entre deux vols, j'aime partir à l'aventure dans les longs couloirs et m'attarder aux portes qui ne sont pas les miennes. J'aime découvrir qui part où et pourquoi. Ainsi, à une porte pour Varadero, on voit des êtres salement blasés de l'hiver en «gougounes» de fortune et bermudas fleuris malgré qu'il neigeote encore dehors. Une «gurda chromée» qui s'est fait bronzer en ca-canne pendant les deux derniers mois pour avoir «un bon fond» a déjà la peau orange avant même d'avoir pris son premier bain de soleil et son douchebag de chum a déjà commencé son régime «rhum and coke» au bar du terminal en fredonnant Bamboleo dans un espagnol... inexistant. On sait d'emblée que les gens qui attendent à cette porte seront du genre à joyeusement applaudir le pilote à l'atterrissage. C'est la fête! Un peu plus loin, j'explore furtivement la salle d'attente du vol pour Dakar. Je m'entiche d'une robe, puis d'un boubou, puis d'un turban... De toutes les tendances modes de la planète, c'est clairement celles du Sénégal qui me plaisent le plus. Je jalouse maladivement le teint magnifique des Sénégalaises, moi qui a la couleur de peau d'un petit cochon rose. Toutes les couleurs leur vont à ravir, tandis que moi, je dois éviter le beige, le jaune, le pastel, le fluo, et doser l'orangé sans quoi on pourrait me confondre avec un malade chronique et me rentrer à l'hôpital d'urgence, sans faire ni une ni deux. Ici aussi, c'est le party, du moins pour mes pupilles en extase.


Il y a des aéroports qui nous marquent pour une raison ou une autre. Ainsi, je n'oublierai jamais Narita, au Japon... Narita et ses super toilettes technologiques, qui jouaient de la musique classique, t'arrosaient le derrière d'eau chaude et te mettaient presque un «pouiche» de parfum au cul avant que tu ne remontes tes culottes. Narita et son plastic food dans la vitrine de ses gargotes, tu sais, ces assiettes pré-montées remplies de nouilles et des steaks en plastoche pour illustrer le menu. Narita et ses drôles de collations vendues dans les dépanneurs... Tu penses acheter un wrap libanais... et tu te retrouves avec un bloc de goberge emballé sous vide. Narita qui m'a fait découvrir par accident ce fameux thé glacé au lait: le Kirin afternoon milk tea... Il ne m'a fallu qu'une bouteille pour que j'en devienne accro pour l'éternité. Narita et ses multiples couples japonais habillés pareil (pareil, comme dans pareil-pareil, là!), comme si c'était un courant, une tendance. Passer par Narita, c'est un voyage en soi. Même pas besoin de sortir de ses murs pour nager dans le dépaysement!


Chaque aéroport a sa propre saveur, c'est comme ça. Don Mueang, le deuxième aéroport de Bangkok, goûte les vacances à pleine bouche. Le terminal Bradley de Los Angeles goûte la crème glacée. Atatürk goûte le pain, les graines de sésame et le thé. L'aéroport de Puerto Maldonado goûte l'humidité et la flûte de pan (oui, ça goûte quelque chose, dans mon univers!). L'aéroport de Paris goûte le «pétage» de coche professionnel. L'aéroport du Caire goûte l'inconfortable attente. Amsterdam Schiphol goûte le brouhaha. À l'aéroport de Denpasar, il y avait jadis naguère une boutique où l'on pouvait acheter des DVD gravés. Allô, le respect des droits d'auteur! J'avais trouvé ça plutôt hilarant. À Pékin, j'avais été surprise de trouver d'énormes terminaux pratiquement vides et, à court de produits d'hygiène féminine, j'avais demandé où je pouvais m'en procurer. On m'avait gentiment guidée.. vers l'infirmerie. (Un tampon et un plaster, c'est tellement la même chose, après tout!) À Orlando, il y a du maudit tapis dans le terminal! Du tapis! Comme si ce n'était pas salissant du tout, la moquette! L'aéroport de Mont-Joli compte probablement le contrôle de sécurité le plus assidu au monde! Je ne calcule plus le nombre de fois je me suis fait fouiller «aléatoirement» dans cet aéroport, que j'ai affectueusement surnommé l'antre du démon, et à chaque fois, c'est une mémorable expérience de taponnage. L'aéroport de Newark, lui, est juste assez petit pour qu'on s'y sente un peu à la maison. Et à Toronto Pearson, on trouve facilement de l'eau de coco, si jamais ça t'intéresse. Parce que c'est si bon, de l'eau de coco. Bref...


Il me plait de m'installer douillettement dans un coin d'aéroport et m'y construire un camp de fortune pour y passer la nuit. J'ai l'impression de retomber en enfance et de laisser s'exprimer la gamine en moi. Ça m'est arrivé si souvent! C'est comme être à l'hôtel, mais en mille fois pire. C'est ironique que je m'y plaise tant, en fait. Je me rappelle avoir déjà essayé de dormir sur une étroite banquette de l'aéroport de Los Angeles, quand j'avais dix-huit ans. J'avais cadenassé mon sac à dos sur mon corps, comme une parano de première qualité. J'avais aussi compris à la dure, cette nuit-là, qu'il était interdit de colporter dans le terminal, après dix mille annonces crachées dans les haut-parleurs à ce propos. C'est une forme moderne du supplice de la goutte d'eau! Je me rappelle aussi avoir dormi comme un bébé sur le tapis d'un terminal à Charles-de-Gaule après un très mauvais vol, pendant que mon amie Mireille me prenait en photo à mon insu. Et une autre fois, bien calée dans un divan du lounge première classe de Air China, malade comme un chien suite à une intoxication alimentaire chopée dans un resort de Krabi. Et dans la salle de prières à l'aéroport du Caire, au cœur d'une saga de cinq reports consécutifs en trente-six heures de mon foutu vol, à cause d'une tempête de neige à Istanbul (shit happens). Mais lorsqu'on est bien, on peut dormir partout.


J'ai envie de partir. J'ai envie d'y être, là, dans un grand hall rempli d'espoir de voyage, d'ailleurs, d'évasion. J'ai envie d'être scrutée par une fille aussi tordue que je le suis et qui couchera dans un texte qu'elle a croisé une rousse fofolle un peu chubby à la bouche carmin voyageant exagérément chargée, avec son énorme sac à dos et des talons hauts aux pieds, qu'elle grignotait en solo un nacho gargantuesque en calant une Chipie au Archibald tout en épiant indiscrètement la table voisine dans le but de convertir l'image en mots dans son blog de textes trop longs.


J'ai envie de découvrir le monde, un aéroport à la fois.


| par La vie est un piment

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