«Quand l'étranger s'en va, il y a toujours quelque chose à dire de lui.» (Proverbe ashanti)
As-tu déjà fait la belle rencontre, celle du parfait inconnu qui ne te cherchait pas, comme toi non-plus tu ne l'attendais plus? Le PARFAIT, celui qui allait t'émouvoir si tendrement à son insu… Moi, ça m'arrive tout le temps, et plus ça m'arrive, moins «l’ailleurs» ne semble loin de mon douillet cocon de réalité. Tous ces beaux visages qui vont et qui viennent TE ressemblent, ME ressemblent, et que l'on soit au bout du monde ou au bout de la rue, la céleste coïncidence entre deux âmes aux pôles opposés peut survenir magiquement. La peur de l'autre s'engendre par notre aveuglement, notre refus d'ouvrir grand les paupières et de se laisser porter par la coïncidence qui, bras ouverts, nous attend pourtant, cette synchronie qu’est la vie au champagne brut, peu importe son mode, les us et coutumes qu'elle berce, les choix qu'elle a fait.
Aujourd'hui, fais-moi l'honneur de te présenter de parfaits inconnus… ou plutôt mes inconnus parfaits. Peut-être me présenteras-tu les liens un jour? L’être humain est une créature faite pour être regardée.
Ma parfaite inconnue est une jeune maman qui, soudainement habitée par une ondée de culpabilité inassouvissable, fume sa clope damnée à l'écart en prenant un bain de soleil sur une promenade d'Üsküdar.
Mon parfait inconnu sort joyeusement sa canne à pêche le week-end avec les potes, établissant son fief sur le pont de Galata. Il tente d'attraper quelques anchois pour sa pizza ou de mettre un maquereau K.O (le salaud!) entre deux verres de thé brûlant... ou trois, ou quatre.
Ma parfaite inconnue, c'est Nurdan célébrant son enterrement de vie de jeune fille, les joues rosies par l'amour bonbon, par la grisante expectative de tourner une page de plus au jeune roman de son existence... et par l'angoisse de quitter le havre familial pour l’inimaginable.
Ma parfaite inconnue est cette antiquité de dame avec une feuille de papier froissée en guise de visage, qui jour après jour, vaque à sa mission divine : Gaver de grains les dodus pigeons d'Eminönü en véritable mère nourricière.
Mon parfait inconnu est un pope syriaque bien installé dans une cour sablonneuse du bout du monde qui, plongé dans la lecture matinale de textes sacrés, fait semblant de ne pas voir entre deux amen la rouquine voyageuse qui l’épie de l’autre côté de la clôture.
Ma parfaite inconnue essaie des choses pour la toute première fois et, émergeant d’un nuage menthe-citron, éclate d’un rire aviaire, de quetzal, tiens, étant forcée d’admettre qu'elle manque un tout petit peu de pratique... ou de poumons.
Mes parfaits inconnus, s'ils bûchent plus fort que d'autres, savent pourtant ramer au diapason. Le partage et la confiance promettent des résultats qui amenuiseront les contrecoups de l'effort physique démentiel. C’est la solitude qui rend l’homme faible.
Mes parfaites inconnues aiment s'avachir sur le trottoir avec les voisines par un torride après-midi de septembre pour papoter en sirotant un gai thé. C’est ainsi qu’un susurrement se propage et que tout se sait, au village.
Ma parfaite inconnue n'est pas qu'une «femme girafe», même si elle vit dans un zoo humain. C'est surtout une très jeune et ravissante mère karen qui survient aux besoins de sa famille en souriant à longueur de journée pour les étrangers, émanant de la lumière des flashs tel un ange fugace.
Ma parfaite inconnue est une
gamine «arc-en-ciel» qui joue au frisbee
sur une plage de Krabi. La vie devrait toujours être ainsi: Un frisbee, une robe colorée, le bruit de la mer et un cœur d'enfant.
Mes parfaits inconnus sont ces gamins suppliants qui veulent à tout prix
accompagner leur père faire un tour de charrette. Papa ne peut leur résister, les exhaussant à tout coup. Son cœur est en chocolat, que veux-tu, et il fait chaud aujourd’hui, ce qui en accélère la fonte.
Ma parfaite inconnue est cette jeune femme ayant su trouver un équilibre entre modernisme et tradition, et qui, malgré les apparences et tout ceux qui en douteraient, est féministe et assumée. Il n’y a pas qu’un seul moule à femmes d’exception en ce bas monde.
Mes parfaites inconnues sont amies depuis la nuit des temps et en ce jour de chaleur extrême, têtues et effrontées, font saucette dans la mer en sous-vêtements, brandissant un doigt d'honneur à l'interdiction de baignade en vigueur.
Ma parfaite petite inconnue nourrit les canards et les mouettes sur un quai de Reykjavik, se foutant de l’algide brise qui lui gèle le bout des oreilles. Quand on a l’habitude…
Mon parfait inconnu conduit le véhicule dont il a les moyens. L'important, après tout, c'est de se rendre à destination.
Ma parfaite inconnue adore veiller tard en pyjama lorsqu'il y a des visiteurs à la maison. Les petites nubiennes ne sont pas différentes des petites québécoises: Elles raffolent des soirées pyjama qui s’éternisent au rythme endiablé d’une nuit sans fin.
Mes parfaits inconnus connaissent l’amitié sincère, celle qui les fait rayonner de mille feux, les jours de grande noirceur. L'amitié n'a ni odeur ni couleur, mais elle a un goût : Celui des bonbons pétillants et du soda mousse. Elle est sucrée et effervescente à souhait, mais on ne s’en écœure jamais.
Mon parfait inconnu sait qu'il n'y a pas d'âge pour être cool et partir à l'aventure.
Mon parfait inconnu a décidé que si l'habit faisait le moine, il n'empêchait pas le photographe, l'amoureux de l'histoire et le voyageur un peu rêveur de cohabiter sous son kesa [1].
Ma parfaite inconnue est cette Andine profitant de son unique jour de congé, de cette matinée toute en grâce pour amener son bambin pique-niquer sur la Plaza de Armas.
Ma parfaite inconnue, c'est Catina, la fille de Nicolas, qui me fait visiter son idyllique petite cour sur l'île d'Amantani en me suppliant de bien vouloir jouer au ballon avec elle. Elle balaie mon essoufflement d’un sourire entendu.
Mes parfaites inconnues déambulent, romantiques, dans les rues de Safranbolu, en cette journée de soleil et de pluie en simultané, avec l'espoir de voir s’écraser un arc-en-ciel à leurs pieds dans un fracas tonitruant.
Mon parfait inconnu sait préparer les meilleures patates douces de l'univers. Il les arrose d'un filet de miel après les avoir rôties sur la braise de charbon de bois. Si le savoir-faire est un art en soi, le siens est un don de Dieu.
Ma parfaite inconnue, cette petite poupée japonaise, languit, accaparée par un mal de mer inopiné. Je la comprends, je suis là devant elle, moi-même presque aussi verte que la couleur du lagon, et je ne pense pas à Maya Bay, mais à dégobiller.
Mon parfait inconnu est ce garçonnet balinais qui, assistant à de grandes festivités religieuses au temple, est aux prises avec une soudaine et incontrôlable envie de téter. L’appel du sein fait fi des saints.
Mon parfait inconnu sait se réinventer: Il trouve en véritable artiste une deuxième vocation à ce qui l'entoure, convertissant son dromadaire en coussin de fortune, le temps d'une pause bien méritée.
Mes parfaits inconnus sont ces enfants scrutant l’étrangère les scruter. Effet miroir : La douce curiosité tue la peur de l’autre. C’est en faisant tomber les préjugés que l’on change le monde, un regard à la fois.
Mon parfait inconnu trouve parfois le temps long. Il se perd dans ses pensées, se décourage et se désole du sort du monde. C'est le lot de l'être humain de se sentir à l’étroit dans sa boîte crânienne.
Ma parfaite inconnue, c'est cette femme kurde bariolée qui m'invite à déjeuner dans sa maisonnette de pierre et de chaux, «entre sœurs du bout du monde», qu’elle me dit.
Mes parfaits inconnus se font la cour comme des tourtereaux, se chantent la sérénade et se promettent l'amour éternel. Si seulement l’éternité existait…
Ma parfaite inconnue est cette gamine qui se transforme en tourterelle «barbe à papa».
Mes parfaites inconnues savent remettre les vêtements dépareillés à la mode en claquant des doigts. L'effet de groupe, ça part des tendances.
Ma parfaite inconnue choisit le plus gros bouquet de fleurs, soit parce que la personne qui le recevra est exceptionnelle, soit parce qu'elle a une énorme faute à se faire pardonner… ou qu'il s'agence en toute élégance avec sa personnalité.
Mon parfait inconnu pique une crise à sa maman parce qu'il voulait des fri-an-dises. Sa mère en a clairement vu d'autres et ignore tout bonnement ses pleurnicheries de bébé gâté. Chiche, petit, chiche!
Mes parfaits inconnus s'épuisent du bruit incessant que font les touristes sur leur île et se remémorent le bon vieux temps, quand la beauté naturelle n'était pas à vendre au plus offrant.
Mon parfait inconnu a le goût de l'eau facile. Dès qu'il en a l'occasion, il descend le Nil sur sa felouque au nom jamaïcain, en sifflotant du Bob Marley.
Mes parfaits inconnus n'ont pas peur de leur foi. N'en déplaise aux Occidentaux athées, sans la croyance indéfectible, le genre humain n'existerait plus. Pour supporter cette vie de misère, il faut croire et se rappeler pourquoi.
Ma parfaite inconnue se recroqueville et se cambre de timidité en entendant s'échapper de ma bouche en cœur les drôles de notes d'une langue qu'elle ne comprend pas.
Mes parfaites inconnues vont à l'école, malgré la plage qui les appelle à l'aube de cette saison des pluies, et iront faire leurs devoirs au Mc Donald's ce soir, là où il y a l'air climatisé.
Mes parfaits inconnus sont une famille. Sur la forme, tu peux penser qu'elle est imparfaite, typée, voire dérangeante, mais sur le fond, leur promenade du dimanche ressemble à la tienne. Vois-tu, on est perturbé par notre propre inconfort face au bonheur des autres.
Ma parfaite inconnue est cette grand-maman qui appelle son petit-fils à diner en se demandant où il a bien pu passer. Il mangera froid, tant pis pour lui! Il fait la diète «foot de rue».
Mes parfaites inconnues développent une amitié lors d'une soirée d'anniversaire, malgré la barrière de la langue. Le langage de la fête, lui, est universel!
Mon parfait inconnu, c'est ce fils qui aide gentiment sa maman à puiser l'eau nécessaire pour la cuisine. C’est tout petit qu’il a appris la valeur de l’eau, par nécessité. Gaspiller l’eau et ne pas la louer est un vice qui vient avec la facilité.
Mes parfaites inconnues sont ces adolescentes qui vont au temple à chaque semaine avec leurs mères, ornant leur chevelure de fleurs comme si elles étaient elles-mêmes de belles branches d'arbres en floraison.
Mon parfait inconnu est cet homme qui tient le kiosque de mangues au marché d'Embaba. Autant de sucre ne peut que le rendre doux et souriant. C'est l'effet adoucissant qu'ont les mangues sur le moral.
Ma parfaite inconnue, c'est aussi cette femme qui possède bien peu et qui passe de trop longues journées dans la rue à tenter d’améliorer son sort, les pieds en compote et le cœur en pomme.
Ma parfaite inconnue ne se prive de rien, tout en respectant sa nature et ses convictions. L'un n'empêche plus l'autre, de nos jours.
Mes parfaites inconnues apprécient la douceur et l'innocence d'un chevreau d'un seul jour. Les animaux et les enfants font habituellement bon ménage : Ils ont la même candeur.
Mes parfaites inconnues sont celles qui croient que les sacrifices en valent la chandelle… et même le chandelier au complet.
Mes parfaites inconnues assument leur personnalité et leur identité à travers le vêtement. Ce n'est pas que le lot des Parisiennes et des New-Yorkaises.
C’est en regardant l’autre que l’on devient riche. La véritable richesse ne se mesure pas en argent, mais en respect et en convivialité. Le regard, même furtif, précède les paroles et a le pouvoir d’ouvrir toutes les serrures si on ose le lever sur le visage qui devant soi, attend avidement d’être vu.
[1] robe des moines bouddhistes