Il y a déjà une vingtaine d’années (my God que j’ai vieilli), je tentais le coup vers une vie à l’étranger, comme un petit papillon qui commençait à déployer ses ailes fripées. J’avais presque dix-sept ans, un diplôme d’études secondaires en poche et je venais de décider tout bonnement que je déménageais au Mexique pour apprendre l’espagnol. Juste comme ça. Parce que. Point barre. J’allais y rester une année presque complète, laquelle allait marquer ma vie au fer rouge à jamais. Deux ans plus tard, après des études collégiales réussies, je décidais de repartir vers l’état de Sonora pour y commencer l’université et y retrouver mon amour de l’époque, Antonio, avec qui je partageais une relation qui s’était continuée miraculeusement à distance pendant tout le Cégep. Et comme j’étais persuadée que c’était LA SEULE chose à faire pour une fille qui avait une soif inassouvie de découvertes et d’aventures, j’avais réussi avec ma tête de cochon à en convaincre mon entourage, non sans user «d’huile de coude» à profusion.
J’ai donc emménagé tout de go dans un pays qui, suite à l’assassinat de Luis Donaldo Colosio [1] et à la disparition de Carlos Salinas de Gortari [2] avec la fortune du pays, était en pleine reconstruction, avec une familia mexicana pour m’aimer et m’appuyer dans mon intégration à la culture sonorense. Déjà, je vivais en union libre (sacrilège!) dans un pays où c’était terriblement mal vu. Je me rappelle du curé de notre paroisse qui me regardait avec grand désappointement, hochant la tête de droite à gauche, roulant des yeux comme une diva et soupirant incessamment en ma présence, pour tenter de me faire comprendre que JE DEVAIS ME MARIER. Je souriais, patiente, et passais mon chemin en me dandinant avec ce petit air insouciant de la jeunesse qui croit pouvoir tout vaincre, même les préjugés, qui n’étaient eux que de petits cailloux dans ma bottine. J’allais à l’université dans une ville où on pouvait compter les étrangers sur les doigts d’une seule main, je parlais un espagnol cowboy qui faisait rire tout habitant du Sud du pays aussitôt que les notes sortaient de mon bec d’oiseau, véritables petits piaillements musicaux aux rythmes de banda, de cumbia et de música norteña. Que de souvenirs fantastiques émergent dans mon esprit quand je repense à cette période! Amitiés indéfectibles, fomentation de valeurs qui me sont encore chères aujourd’hui, apprentissages multiples, voyages et soleil, développement de mes papilles gustatives, ouverture graduelle de mon esprit alors encore inconscient de toute la richesse du monde… J’étais une gamine avant, et tout à coup, le Mexique faisait de moi une femme, la femme que je suis encore maintenant en grande partie. J’étais alors une jeune «expat», quand le mot n’était même pas encore à la mode.
Si je vous raconte tout cela, c’est pour mieux introduire la série de textes que je vais vous présenter et qui traiterons ici de six discussions que j’ai eu avec des gens passionnants, six belles nuances d’aventuriers qui n’ont pas froid aux yeux, des jeunes professionnels de tous les milieux et de toutes les origines, qui ont décidés, à un moment où à un autre, de partir tenter leur chance à l’étranger, que ce soit pour étudier, y travailler, ou pour changer de vie, tout simplement. Leur ouverture, leurs motivations, leurs constats, leurs succès et leurs déceptions font partie des points que j’ai abordés avec eux, et ils nous ouvrent avec beaucoup d’humilité les portes de leur vie d’expatriés pour vous montrer que le monde est plus petit qu’on ne pourrait le croire, quand on a un projet en tête.
Osez lire tous les textes. Ça vous donnera peut-être envie de déployer vos ailes et de voyager un peu, que ce soit sur le tapis volant de votre imaginaire ou les fesses bien posées sur un étroit siège d’avion. Le déracinement est souvent une source de croissance personnelle fabuleuse. L’envie d’autre chose, de voir ailleurs, de comprendre comment l’autre vit au quotidien loin de notre zone de confort, s’avère un besoin naturel et légitime. C’est en l’assouvissant que l’on pourra plus aisément contribuer à la construction d’un monde meilleur, plus équitable, plus équilibré, moins fermé.
Jody Lee Potvin-Jones, architecte gaspésienne d'une famille mi-francophone, mi-anglophone, a quitté le Québec pour le Danemark, avec l'envie d'aller se perfectionner en architecture écologique. Y emménageant avec un conjoint canadien qui lui, n'allait pas survivre à toute cette manne de changements. Elle y est maintenant depuis sept ans, et sa philosophie de vie, les rencontres qu'elle a faites et les lieux qu'elle a foulés ont contribué à en faire une femme bien de son temps.
Noureddine Barka, Marocain, a immigré au Québec, d’abord pour les études, puis est resté accroché aux lieux pour le boulot. Professeur à l’UQAR, il est un modèle d’intégration, d’ouverture et d’adaptation à son pays d’accueil. Il est la preuve vivante qu’un expatrié peut vivre ici en gardant un équilibre entre ses origines et les caractéristiques de sa terre d’accueil. De ses yeux de migrant, il peint un portrait fort pertinent du Québec, son chez-soi assumé.
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