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Mince alors! : Le poids de la ligne de conduite


Avertissement: «La légèreté a, elle aussi, son poids spécifique.» ( Stanislaw Jerzy Lec)

Qui n'a pas déjà eu la folle envie d'être maigre? Mince, alors. Parce que la maigreur, c'est ce concept peu ragoutant qui rend notre peau translucide sur les os tel un petit poulet cru. Mesdames, messieurs, vous ne voulez surtout pas avoir l'air d'une volaille qu'on vient de brider pour enfourner, quoi qu'une volaille, c'est habituellement plutôt dodu, surtout depuis qu'on les shoot aux hormones... mais bref. L'envie de minceur, elle, l'engouement pour la taille de guêpe, pour l'absence de graisse abdominale comme Lionel et Cristiano [1], ça plait à tout le monde, même à ceux qui clament le contraire, fiers-pets de s'accepter tels qu'ils sont et de frencher beaucoup, passionnément et à la folie la délectable image que leur retourne leur miroir. Plaidons donc coupable qu'on en finisse! La lubie de sveltesse s'est fait pandémie. Être effilé comme un oignon vert, c'est trop tendance.


Oui, presque toute la planète veut du longiligne, du filiforme, de la légèreté dans son existence. La télé vous en parle, les journaux vous en parlent, Internet vous en parle, vos collègues, votre famille, vos amis, votre docteur, même la fille dans le métro vous raconte que ça vaut le coup, que c'est IN le poids santé, que c'est votre fontaine de jouvence privée, votre ticket doré pour le club sélect des centenaires heureux et pour les boutiques dites de tailles régulières. Car on apprécie avoir le choix lorsqu'on a un certain pouvoir d'achat, un peu comme on choisit des pommes au marché: Quand on veut de la Cortland, on ne prend pas de la Granny Smith. Ça n'a pas la même couleur, déjà en partant, à moins d'être daltonien. Côté boutiques, quand on est bien en chair, le choix est d'une tristesse pathétique tellement il n'existe justement pas (il n'y a que de la Cortland, bref), et tu te retrouves infailliblement à être fagotée comme l'autre p'tite grosse au party de Noël du bureau et à caler tout le proseco qui te tombe sous la main pour tenter d'en oublier l'humiliation pourtant si prédictible (soupir). On doit se rabattre sur les chaussures. Oui. Plus les chaussures attirent l'attention, moins on remarque le muffin top et le débordement de poitrine qui transfigure un décolleté charmant en arme de destruction massive. C'est comme pour les bijoux. Plus ils sont volumineux et clinquants, moins on remarque le bedon frémissant comme une panna cotta semi figée. On baratine l'œil acerbe de l'être mince en camouflant l'enrobage graisseux par l'enrobage bling bling, C'est le principe du cornet de glace trempé dans le chocolat au lait et les arachides. On le rend plus beau et plus appétissant, mais dans les faits ça reste de la crème glacée dans un cône.

Qui a une super bonne excuse à mille balles pour ne pas saisir sa santé à deux mains et faire véritablement la passe de l'ours qui tousse à l'obésité? J'ai fait partie de cette populeuse catégorie de justificateurs convaincus pendant des décennies et ce, jusqu'à très récemment. Quand on discute avec quelqu'un un brin rondelet, c'est marrant de l'entendre se justifier avec la fausse certitude de se croire lui-même. J'ai passé par là, je parle donc en femme expérimentée qui pourrait donner le cours 101 d'excuses frimeuses: «J'ai eu deux grossesses, j'ai eu une dérèglement hormonal et je ne m'en remets pas, je travaille assis à un infâme bureau devant mon ordi du matin au soir, je suis un piètre cuisinier, je suis né bouboule et c'est mon métabolisme, je dois apprendre à m'accepter tel que je suis, j'ai mal au dos et ça m'empêche de faire du sport, je manque affreusement de temps, c'est ma résolution de janvier prochain, mon homme me préfère corpulente, je mange mes émotions avec un extra sauce, etcetera.» Bullshit! L'art de la déresponsabilisation est une valeur refuge si confortable, mais dans les faits, être gros, c'est carrément un signe ostentatoire de mauvaise santé. Vouloir vaincre l'embonpoint, c'est une chose, passer à l'acte en est une toute autre, surtout que cette chère société en prend large pour nous tracer la seule bonne ligne de conduite en matière de masse corporelle acceptable, ou masse corporative, c'est selon. Car désirer être en santé devrait être le but ultime; or, on nous pousse à être mince pour des raisons marketing, commerciales, pour que des compagnies qui nous imposent leurs règles augmentent leur clientèle potentielle et de surcroît leur profit, pour qu'on achète telle cravate, tel tailleur. Pour les entreprises, ça coûte une fortune d'accommoder les obèses. Il faut plus de tissus pour faire un jeans, des designers spécialisés, des habitacles de voitures plus vastes, des sièges d'avions plus larges. Il n'y a que les compagnies pharmaceutiques et agroalimentaires qui elles, se réjouissent de notre propension à la pesanteur. Pas besoin de vous faire un dessin; vous comprenez très bien pourquoi. Notre comportement est influencé par des valeurs, et en cette ère de mode, de surconsommation, de capitalisme et de «m'as-tu vu», plaire est devenu un rouage primordial des relations humaines. On aime suivre la masse populi sans se poser de questions, on vénère telle vedette à la taille fine et aux longues gambettes, on sait que pour attirer tel type d'homme ou de femme, ça prend un peu de chien et pas beaucoup de lard. C'est ainsi, au diable le poids santé, qui est encore trop pesant sur la balance de notre vie sociale.


Je sais de quoi je parle en matière de maigritude et par opposition, de rondeurs. Déjà, le mot «maigritude», il me plait beaucoup, parce qu'au-delà de sa véritable définition, la construction du mot est intéressante: il représente totalement ma réalité, notre réalité, celle de l'aptitude à maigrir que l'on tente maladroitement de développer, et toute l'aigreur qui découle de ce satané processus. J'ai été un yo-yo vivant plus souvent qu'à mon tour, comme plusieurs d'entre vous. Ado, j'étais la typique maigrichonne de service, vous savez, la «cent livres mouillée» de la classe, celle qui risquait de se briser à la moindre brise de vent. Puis, je suis déménagée au Mexique à dix-sept ans et j'ai pris trente livres en quelques mois. J'aimais trop les taquitos de carne asada, les tamales, les tortas de pierna, les molletes con carne, les dogos sonorenses, les gorditas, le chilaquile, le posole, le picadillo, les quesadillas con frijoles, les enchiladas suizas, les empanadas, les coyotas, la machaca, le gâteau tres leches, (oh que je vous aurais énuméré tout l'almanach culinaire mexicain! Bien vouloir googler tous ces platillos que je n'ai aucunement l'intention d'expliquer ici, si vous mourrez tant que cela d'envie de ballonner en regardant d'alléchantes photos, olé! J'en bave encore rien qu'à y songer). Que viva México, sa bouffe, sans équivoque la meilleure au monde... et la superbe intoxication alimentaire que j'y ai fait à force de trop abuser de la mangeaille épicée. Je suis passée de 125 livres à 85. Ouaip. Puis, je suis revenue au Québec toute chétive pour devenir amoureuse quelques mois plus tard d'un amateur de cantine, un fin palais de la frite. J'ai graduellement (sournoisement, devrais-je dire) gravi les livres une par une jusqu'au top avec mon partenaire in crime, atteignant finalement le seuil pas très sexy de 200 livres. Et je ne parle pas ici de deux cent bouquins dans une bibliothèque. Deux cent livres, c'est quatre-vingt-dix kilos et des poussières, pour cinq pieds deux de grandeur. Pas chouette. Dans mon ascension, j'ai tenté plusieurs fois de redescendre la montagne en courant, mais je me suis cassé la margoulette à moult occasions. J'ai fait de la boxe deux fois par semaine à six heures du matin pour fondre du ventre, j'ai tenté le yoga ashtanga (Adho Mukha Svanasanaaaaaa) pour affiner ma silhouette toute en courbes, j'ai pris ma carte de gym (Oh! Comme j'ai dépensé de l'argent dans le vide avec cette idée de gym à la con!), puis, faute de trouver la volonté en moi de m'y déplacer après le boulot, j'ai même amené le gym chez moi en investissant à la Justin Trudeau dans mes «infrastructures». J'ai concocté des tas de recettes végétariennes, j'ai coupé le lactose (dieu merci!), le gluten (euh... mon erreur), les sodas diètes que je buvais au litre. J'ai été drastique... et ça n'a pas paru sur la balance.


Dieu merci, la prise en main bénie a véritablement eu lieu et ce, avant que je n'ose tenter cette histoire de régime aux protéines qui par le temps qui court fait sensation avec ses effets déconcertants... et qui fait effectivement perdre du tour de taille, mais pour mieux le retrouver par la suite (yo-yo style)... ou encore cette purge à la soupe qui ne fait perdre que de l'eau. On dégonfle (pffffffffff...) puis on retourne presqu'illico à la normale, reléguant aux oubliettes tout le beau linge neuf acheté pour fêter l'exploit éphémère. Pourtant, mon doc me l'a toujours dit: la solution miracle est connue de tous depuis des lunes et tient en deux mots: exercices et nutrition. Il n'y a pas de secret. La recette est éprouvée: On doit bien manger et dépenser plus que ce que l'on ingère pour perdre de la masse. Il n'y a pas de magie là-dedans. C'est un processus continu et ardu, qui demande de l'investissement à long terme, des changements d'habitudes souvent dramatiques (dans mon cas), de la discipline à vie, et beaucoup d'autodérision. Il faut bannir sans foi ni loi le mot «régime» de son vocabulaire, tout comme le mot «interdiction». C'est un mal nécessaire car aucun régime ne rime parfaitement avec ce que le mot «nutrition» sous-entend.


La nutrition est une science en évolution constante, tandis que les diètes sont des outils qui doivent être utilisés avec parcimonie sous la supervision d'un médecin ou nutritionniste, pour des raisons évidentes. Pas par votre cher entraîneur au gym, votre coach de vie ou la madame de la boutique d'aliments naturels. Le charlatanisme peut prendre différentes formes, en santé, et c'est fou comme on est prêt à croire aveuglément n'importe qui lorsqu'il s'agit de maigrir sans effort à long terme et sans trop changer, et ce, au détriment même de notre santé physique et mentale. J'en suis sidérée. C'est comme si on faisait confiance à un beau-frère non-qualifié pour gérer notre cash, juste parce qu'il a fait cent cinquante piastres sur son dernier placement. Des conseils bidons, vous en aurez à la tonne. Faites confiance aux pros et à votre jugement... sauf si vous n'en avez pas mais ça, c'est une autre histoire. Il faut cesser de surestimer sa capacité à avaler et apprendre à avoir la panse et les yeux au diapason, chantant une mielleuse harmonie. Je l'ai essayé et les kilos tombent au combat à la pochetée depuis.


Maintenant, si vous réussissez à changer vos vilaines habitudes une à une, vous avez aussi intérêt à trouver des alliés qui sauront vous appuyer dans votre ambitieuse quête de recouvrer la santé, et vous serez donc plus apte à ignorer la horde de moralisateurs peuplant votre entourage qui voudront mettre leur grain de sel dans votre processus de cheminement perso. Il en existe deux sortes particulièrement parasitaires, qui tenteront plus souvent qu'à leur tour de démolir votre confiance toute naissante, de vous déboussoler et de vous faire sombrer la dans doute et le découragement: Les gens maigres mais drastiques, et les gens qui sont dans le même processus que vous et pour qui ça ne fonctionne pas aussi bien.


D'abord, les maigres obsessifs. Ces gens vont toujours vous faire sentir que votre énergie investie ne suffit point, qu'il faut faire plus de vélo, manger un biscuit de moins, et vous regarderont perpétuellement comme un obèse plutôt que comme un être à part entière, peu importe le fruit de vos efforts. À leurs yeux, vous serez toujours le pauvre parvenu, un faux mince en devenir, et chaque bouchée que vous mastiquez devant eux sera assimilée à une vile rechute, comme un alcoolique prenant un verre après une longue sobriété. Attention à ces créatures, qui ne doivent surtout pas avoir une once d'incidence sur votre amour-propre, peu importe leurs manigances démoniaques. Ce n'est pas parce qu'on est maigre que l'hygiène de vie est au rendez-vous, tenez-vous-le pour dit, et au même titre que l'obésité, rappelons-nous que la maigreur peut être une maladie et cacher une multitude des troubles obsessifs-compulsifs.


Ensuite, il y a les jaloux. Cette catégorie d'êtres aime prôner leur mode de vie sain et équilibré en exemple. Les jaloux aiment prétendre nager à contre-courant de la ligne de conduite sociétale avec de belles théories liées à l'auto-estime, à l'équilibre, à l'écoute du corps et de l'estomac. C'est vrai que ça fonctionne pour plusieurs, mais ça prend souvent bien plus que d'écouter nos jasettes stomacales pour casser de vilaines habitudes, et notre corps est prêt à nous raconter bien des bobards quand il s'est habitué à s'être fait gaver comme une oie destinée au foie gras pendant des années. Le jaloux vous dira que vous êtes dans le champ, il tentera de connaître le nom de votre nutritionniste (pour vérifier que vous en avez bien un), il sera contre votre journal alimentaire même si c'est votre docteur qui vous l'a recommandé (non, le calcul de l'apport calorique réel, c'est dépassé, car c'est à votre corps de vous dicter quand il a faim ou pas... bref...) ou sera pour le fameux journal si vous n'en avez pas et que le spécialiste qui vous suit veut que vous écoutiez votre corps, justement. Il critiquera votre effort sportif, votre manque de sueur perlant à votre front, mais rappelez-vous ici que c'est vous qui êtes en train de réussir, c'est vous qui réparez votre corps. Le jaloux, lui, il prêche mais n'applique pas, ou du moins pas assez, car pour fondre, ça prend plus que de jolis mots. Ça prend un moral d'acier, des efforts colossaux pour avancer et regarder droit devant, ça prend une capacité à se pardonner soi-même les écarts, les dérapages, ça prend de l'audace, une échine bien droite lorsqu'on a envie de plier, une surdité volontaire et ciblée pour ainsi n'écouter que ceux qui en valent la peine et ignorer cette société qui, avec son dictaphone, vous remplit le cerveau de baratin. Vous pouvez le faire; pas le jaloux. Il ne faut donc pas se laisser intimider par ses certitudes feintes et ses reproches à peine camouflés dans leur regard inquisiteur. Vous êtes l'acteur de votre propre vie, après tout, et vous vous forgez à partir de vos petits succès et de vos lourds échecs, et vice versa.


En réalité, notre monde a un peu perdu les pédales en ce qui à trait à la silhouette idéale, et ce, depuis longtemps. La quête du bien-être est devenue une tragédie grecque tellement l'atteinte du véritable bonheur n'est plus une affaire individuelle mais bien d'un arsenal de normes qui nous dictent quand boire, quand manger et qui le mérite vraiment. La lourdeur des clichés, des archétypes absurdes et de l'image modelée par différentes industries font paraitre le poids santé comme un minimum à atteindre. La chair est devenu souhaitable en privé, mais persona ingrata dans la sphère publique, deux poids deux mesures rendant le quotidien des gens ambivalents comme moi encore plus écartelé entre le fantasme et le réel. La multitude de choix alimentaires sur le marché, nos vies trop chargées et le besoin indéniable de se gaver pour contrer le stress aggravent la triste réalité d'un univers infâme qui s'affame pour alléger le regard d'autrui sur leurs propres tares. Cependant, tout n'est pas que drame. Il existe tout de même de plus en plus d'outils pour fondre un brin de façon intelligente. Parlez-en donc à votre médecin, et à l'attaque! Dès qu'on prend conscience que même la légèreté pèse quelque chose, il faut arrêter de penser que la satisfaction flirte avec la taille zéro. Parce qu'on veut exister. Et une taille zéro, n'est-ce pas un peu comme ne plus avoir les godasses ancrées sur Terre? N'est-ce pas souhaiter l'inexistence? Mince alors! Je vous souhaite à l'inverse de vivre au maximum de chaque gramme de votre être, même si ça implique un jeans qui déborde un peu et quelques poignées d'amour anodines. À chacun sa quête. Personnellement, je veux éviter de fondre sous le poids de cette ligne de conduite qu'une entité floue tente de m'imposer «pour mon bien». Je veux fondre pour moi. Je me choisis, moi, un bol de soupe aux légumes et un carré de sucre à la crème.



[1] Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, joueurs de soccer.

| par La vie est un piment

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