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Ma dernière «mise en Cène»


«La modération est une chose fatale. "Assez" est mauvais comme un repas. "Trop" est bon comme un festin.» (Le portrait de Dorian Gray - Oscar Wilde)


Avertissement: Ce texte peut donner (très) faim, causer des fringales nocturnes inopinées, de brûlements d'estomac, des rechutes de diète assez dramatiques et de la culpabilité mal placée. Vous êtes prévenus. Vous y aventurer est à vos risques et périls et je me décharge de toute responsabilité dans votre gain de poids soudain et votre glycémie un peu haute.


J'ai faim. Tout le temps. Passionnément. «Goinfrement». J'aime les saveurs exotiques, le «oomph [1]» les bons petits plats traditionnels sans flafla de mon enfance, les cochonneries décadentes à souhait et la sagesse de certains aliments dont le visage «straight» et ennuyant à crever cache un incommensurable goût de bonheur qui font sur la langue, comme l'eau de coco, les flocons d'avoine et les lentilles (ils ont beau avoir le look tristounet, je m'en régale à chaque fois). Je suis une gourmande qui tente tant bien que mal de se tempérer un peu, mais lorsque je pense au tempérage, je m'imagine pataugeant dans une baignoire débordante de chocolat noir tiédi bien lisse et ma motivation est engloutie en même temps qu'une généreuse louche dudit or brun. Ok, j'avoue que l'image est un peu trop perturbante pour un texte du genre, mais trop tard, ce qui est écrit est écrit, et comme les écrits restent... je suis cuite comme une grosse pomme de terre au four, puis farcie de crème sure, de bacon, de cheddar jaune orange et d'oignon vert.

J'aime la bouffe, que voulez-vous. C'est indéniable. Mes poignées d'amour ne mentent pas sur mon inclinaison pour la gourmandise mal placée. Si on me disait que j'avais droit à un tout dernier repas avant de m'éteindre paisiblement, il me serait difficile de choisir un seul met. Je demanderais probablement à sauter tête première dans un buffet constitué de tout ce que j'aime, et ce, en agréable compagnie. Autour de ma table, j'inviterais à un dernier toast ma famille, car sans la famiglia, nous ne sommes que poussières dans l'univers. Il y aurait un monticule, non, un Anapurna de chips au ketchup pour faire plaisir à mon homme, du chocolat à outrance pour calmer les papilles de ma sœur, et du homard à profusion pour célébrer mes racines gaspésiennes et en souvenir de ma grand-maman Rita. Ça et du lait sans lactose. Parce qu'on boit tous du lait comme des veaux, chez nous. On ferait sûrement une indigestion puisque le lait et les fruits de mer ne font pas bon ménage, mais je m'en balance, puisque c'est mon dernier repas de toute façon. Au diable les ballonnements, les gargouillis et tout le reste! J'inviterais ma meilleure amie Mélanie à faire la fête avec moi, et on mangerait des tas de dattes enrobées dans le prosciutto et fourrées de fromage de chèvre et de noix pralinées en trinquant au champagne pendant que son mari dévorerait un bon steak avec des ailes de poulet extra piquante comme légume d'accompagnement.


Pourquoi ne pas aussi inviter les gens que je ne vois pas souvent et qui valent des milliers de diamants bruts à mes yeux bleus? Ma belle Hend, princesse des mille et unes nuits, à qui je servirais des pommes de terre pilées, des baklavas et un grand café turc avec du lait (oui, ça se peut, bon!), mon Özlem, ma belle beauté frisée, qui se gaverait à ma table d'une kumpir [2] toute garnie sans cornichons avec un verre de thé noir, et ma Roxana qui aurait droit à sa torta de pierna de La Pasadita [3] ou à son dogo sonorense [4]...Tant qu'à inviter le monde entier, j'inviterais Elisabeth, ma sorcière suédoise préférée, à partager une poutine avec moi, en souvenir de toutes celles qu'on a engouffré quand elle avait emménagé chez moi pour un de ces étés figés dans le passé. J'inviterais aussi ma belle chanteuse de tango finlandais, Ailamari, à fredonner quelques airs pour animer ma soirée, tout en dégustant une soupe lohikeitto que j'ai appris à faire. Et pourquoi pas Florine, que je connais depuis plus de vingt longues années sans pourtant ne l'avoir jamais rencontrée en chair et en os. J'aimerais bien lui serrer la pince de crabe devant un festin digne des dieux. Je n'aurais qu'à ajouter quelques spécialités françaises classiques pour que ça lui plaise, j'imagine... des chocolatines, du foie gras, du magret de canard, des escargots, de la tarte tatin et des éclairs au chocolat, tiens, pourquoi pas?


Et un dernier repas, ça devrait servir à faire la paix et à rire de ce qui nous a fait pleurer. J'inviterais donc ceux qui m'ont fait souffrir, ceux qui m'ont envié, ceux qui m'ont malmené, à s'asseoir à mes côtés et à goûter aux splendides victuailles étalées à portée de main. Comme je ne suis rancunière pour rien au monde et que j'ai l'âme plutôt pacifique, ça me ressemble de les y convier. Après tout, c'est la générosité qui sauvera le monde, un jour ou l'autre. Je voudrais prêcher par l'exemple... en espérant ne pas être l'exception qui confirmerait la règle inverse. J'aimerais lever mon verre (un verre de bière à la fraise À la Bourdages de la Microbrasserie Le Naufrageur, la meilleure bière au monde, rien que cela) à leur santé, en leur souhaitant longévité et paix intérieure! «Chin chin [5]!» Alors, bienvenue à tous les gros méchants loups ayant un jour ou l'autre parsemé ma vie d'embuches. Gare à ne pas vous étouffer avec un morceau de pain, cela dit. À force de blablater contre tout le monde, votre salive se fait plus rare, ça assèche votre bouche, vous donne une halène bestiale... et on finit par avaler de travers. Bref...


En plus de mes supposés ennemis, je ferais une place de choix à des gens démunis, des itinérants, des moins nantis. Cette gentille junkie ayant pignon sur Ste-Catherine Ouest et qui me dit à chaque fois que je passe devant elle que je suis belle, et que j'ai de jolies chaussures serait la première à recevoir son invitation, même si elle balance les mêmes compliments à toute la race humaine et probablement canine. Parce que je l'aime bien, tout simplement, et qu'elle mérite un festin au même titre que n'importe qui d'autre. Elle mérite de se rappeler ce que c'est que de manger comme une reine. Et cette vieille femme qui fait sa marche à pas de tortue sur l'avenue de la Cathédrale, dans mon patelin, j'aimerais bien lui rappeler quelques unes des saveurs d'antan qui sauront lui remémorer le temps où elle se faisait courtiser, le cipaille, le ragoût de pattes de cochon, le boudin, la confiture de petits fruits qui mijote sur le poêle.


Je vous le jure, on mangerait sans modération. On se remplirait l'estomac de toutes les bonnes et moins bonnes choses qui me passent par la tête. Je voudrais certainement de cette pizza au poulet tandoori de chez Raffles à New Delhi, qui me rappelle des souvenirs de voyage mémorables avec son fromage bizarre. Parce qu'en Inde, le fromage ne goûte pas le fromage, un point c'est tout. J'en ferais venir en jet, de cette pizza. Au diable la dépense. Aussi, j'aurais une quantité astronomique de ces petits burgers turcs vapeur à la saucisse, les Islak burgers, qu'on peut dévorer en trois bouchées et qui fondent littéralement dans la bouche... en laissant suinter un coulis de gras. Avant de mourir, mon but ultime serait de rendre toute ma garde rapprochée accro à jamais à ces petites merveilles bien graisseuses qui me font baver d'envie à la simple idée de leur existence. Oui, je bave comme un Saint-Bernard, ça m'arrive, c'est pas chic à voir, mais c'est comme ça.

Quoi d'autre y aurait-il sur ma table? Du gâteau au fromage. Pas n'importe lequel en plus: Celui de chez Nos Thés, sur Ste-Catherine à Montréal, aromatisé au thé matcha, une combinaison inégalable qui me fait particulièrement voyager. Des bulles. Parce que je suis la queen des bulles, c'est comme ça. Même si vous tentez de me détrôner, la couronne m'appartient. De la tarte aux fruits frais avec beaucoup de crème pâtissière qui coule partout. Des bretzels bien salés. Des pappardelle sauce tomate avec beaucoup (trop) de parmesan râpé. Du houmous aux poivrons grillés. Du tartare de saumon de la Réserve Bistrot, évidemment. Je suis le genre de fille à manger du tartare en take-out le midi... J'ose faire ça, hé oui! C'est probablement mon met préféré d'entre tous! Ça et le riz au lait, et la poutine italienne, et la jícama lime-piment, et les künefe dégoulinants de sirop avec de la crème fraiche sur le top et du fromage bien coulant à l'intérieur. Oui, je sais, j'ai les goûts dérangés, voir dangereusement désaxés, mais ça fait partie de mon charme légendaire et de ma folie déjà amplement reconnue par mes pairs. J'aimerais de plus de la Key lime pie acidulée à vous causer un choc électrique au cerveau. Et des bonbons en gelée à la cannelle en forme de bouches pulpeuses. Et tant qu'à être dans le bonbon, des jelly beans (même ceux avec des saveurs bizarroïdes comme pop-corn au beurre, barbe-à-papa et framboises bleues), des Wunderbar, des truffes Lindor, des loukoums à la rose et de la réglisse à la cerise. Il y aurait des tas de sachets de café au mastic de la marque Kahve Dünyası, un de mes péchés mignons, qui traîneraient ça et là entre les différents plats, à saisir au passage pour une petite tasse fumante express. L'essayer, c'est l'adopter, parole d'une fille qui n'aime pas le café, mais celui là... (permettez-moi un OMG en majuscule, même si c'est franchement démodé.)

Quoi d'autre? Quoi? Quoi? Quoi? Un bon «spagat [6]» sauce bolognaise, souvenir de mon enfance passée trop vite. Du salami de Gênes épicé. Un contrefilet de bœuf cuisson moyenne avec des champignons et des oignons sautés, et de la sauce au poivre. Des côtes levées bien collantes. Du pain perdu, avec de la glace aux épices. Du ceviche (ouais, je sais, encore du poisson cru). Des roues de truck [7] de chez Crémy. Des œufs bénédictines ensevelis sous une marée de sauce hollandaise riche et décadente. Des brioches à la cannelle glacées au miel. De la Fayrouz et de l'Inca Kola (un indice pour les non-initiés: les deux trucs se boivent et vous shoot une dose abracadabrante de sucre directement dans les veines). Un brie fondant avec des canneberges. La rillette de porc de Jérôme Ferrer, mon chef chouchou (et je vous avise d'avance que je garde tout le pot pour moi. Allez, traitez-moi d'égoïste finie, gâtez-vous. Ça ne changera rien au résultat final: La rillette est à moi!) Est-ce que je vous ai donné assez faim? Parce que si c'est le cas, il est encore temps de vous tartiner une tranche de pain avec du Nutella ou de la confiture de lait. Parce que c'est si bon pour le moral, les calories vides, et quand le moral est satisfait, on est heureux, on rote de bonheur.


Telle est la dernière «mise en Cène» que je vous propose goûlument. On a chacun un péché mignon, ou deux, ou trois, ou dix, ou vingt. En l'occurrence, ma dernière «mise en cène» est probablement fort différente de la vôtre, et c'est tant mieux. J'ai tâté le terrain un peu pour comparer, par curiosité mal placée... On me parle de tourtière du Lac, de pupusas, de dimsums, de biscuits Oreo, de pizza Margherita, de mole poblano, de spring rolls, de piment cheyenne, de viande sur le grill, de brownie au caramel salé... J'ai presque envie de me quêter sournoisement une précieuse invitation à votre dernier repas, rien que pour croquer avidement dans une parcelle de votre vie. Et si je devais mourir de quelque chose, mon Dieu, faites que ce soit à petit feu comme un bon ragoût qui mijote (car sinon, ça colle au fond) et de pure gourmandise. Après un dernier festin fou à me bourrer la panse de crevettes de Matane pêchées à Sept-Îles, de banana splits extra chantilly et de crêpes noyées dans le sirop d'érable et le beurre salé, je pourrai m'éteindre l'estomac en paix et l'âme repus.






[1] l'ingrédient spécial


[2] pomme de terre au four garnie de viande, sauces, légumes et boulgour très prisée en Turquie


[3] sandwich à la viande de la cantine La Pasadita, à Ciudad Obregón.


[4] célèbre hotdog du nord du Mexique, spécialité de l'état Sonora.


[5] Santé!


[6] spaghetti


[7] beigne en forme de roue de tracteur



| par La vie est un piment

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