«Si le crocodile achète un pantalon, c'est qu'il a trouvé un endroit où mettre sa queue. (proverbe africain)
«Ah! Les crocros, ah! les crocros, ah! les crocodiles. Sur les bords du Nil ont disparus, n'en parlons plus...[1]». Mais non, «tabarouette»! De grâce, mets cette comptine au rancard sur le champ! Il faut justement en parler, des crocodiles, JE VEUX en parler, en fait. Ça me titille de les peindre, de les repeindre et de les dépeindre, ces satanés monstres d'eau douce. Parce que les crocodiles, ces reptiles renégats et perfides qui attendent patiemment que tu te plantes pour te manger tout rond comme si tu étais une belle grosse truffe au chocolat, semblent se reproduire en un éclair d'éjaculation et on finit par en croiser partout dans les parages avec leurs gros yeux globuleux remplis de fausses larmes servant à en cacher la sécheresse saharienne. Parce qu'ils ont les yeux secs de nature, les crocos. Ils doivent probablement abuser des gouttes oculaires, surtout s'ils veulent porter des lentilles cornéennes (ça donne un plus beau look que les «barniques», surtout avec une tête aussi aplatie que la leur...). On sait tous que les yeux secs, ça s'infecte, c'est propice à la conjonctivite, aux orgelets et aux rougeurs. Peut-être sont-ils plutôt des abuseurs de vapeur d'oignon? Il faut bien que le robinet coule, à un moment donné, pour ainsi gagner en crédibilité dans ce petit jeu vicieux dont ils sont les rois.
Les crocodiles savent totalement ce qu'ils font et agissent selon la couleur et la saveur du moment. Ils sont passés maîtres dans l'utilisation des excuses à la «mord-moi l'nœud» du genre: «Je ne savais pas, sorry» ou encore «je ne pensais pas te blesser», mais c'est faux! ILS VEULENT TELLEMENT TE FAIRE CHIER. Ils te souhaite une gastrite, une colite ou tout ce qui se termine en «-ite». C'est ça leur but dans la vie. Ils provoquent le raz-de-marée et regardent ensuite la douce débandade que tu te tapes, la débarque que tu prends ou la raclée que tu manges en faisant semblant d'être navré pour toi pendant que la micro lueur déguisée en larmoiement au fond de leurs yeux les trahit. Et nous, on se coule une bonne grosse larme de rhum «drette» dans le gosier pour oublier qu'on vient ENCORE de se faire amèrement flouer par un croco à la con, puis on avale une autre lampée, et une énième et là, soudainement, on se met à pleurer carrément sa vie comme une Madeleine ou une Gertrude (trop de ti-ponch, misère). On devient tout à coup la chute du Salto Angel avec son débit de larme imprévu pour cette période de l'année, ce qui rend les berges de notre émotivité presque impossible à sécher.
Au fond, aussi bien en rire aux larmes qu'en pleurer un torrent, parce qu'ils inspirent tout de même une brindille de pitié, los malditos cocodrilos. L'arme fatale face à leur gueule dentue, c'est d'arborer une moue d'insignifiance d'une froideur pire que le nordet et une roulement des yeux plus bavard que les mots. Rien au monde n'est plus efficace qu'un roulement des «quenoeils» assassin, crois-moi sur parole. Ça tire des regards noirs plus vite que son ombre, «pan, pan!», ne laissant aucune chance à sa misérable cible. Qui gagnera l'Armageddon quotidien entre la belle ou la bête? Si c'est moi, je te le dis, de sa grosse queue parsemée d'écailles découlera des paires de chaussures à en perdre le compte ainsi que le beau p'tit sac assorti, tant qu'à y être! (Heille le défenseur des droits des animaux, ne me fait pas pleurer, come on! Descend de tes grands chevaux, c't'une joke, là! Je préfère les chaussures en peau de serpent de toute façon... Ben non!). Ils font mine de t'aimer inconditionnellement, mais t'abandonnent dès que tu ne leur sers plus comme une chaussette trouée. Si tu n'as plus le sous, si tu obtiens un succès qu'eux n'ont pas, si tu fais une rencontre qu'ils auraient aimé faire, si tu entres dans la belle robe de la vitrine de cette boutique en vogue sans devoir retenir ton souffle pour remonter la fermeture à glissière, TOI... ils sortent les crocs, font mine de dormir les yeux ouverts et attendent patiemment que tu leur tournes le dos pour surgir la gueule ouverte.
Les pires hypocrites sont avant tout des individus foncièrement malheureux qui passent une grande partie de leur vie au bord des larmes, ou au bord du précipice, c'est selon. Victor Hugo a déjà écrit qu' «un hypocrite est un patient dans la double acceptation du mot; il calcule un triomphe et endure un supplice [2].». C'est aussi la vision que j'en ai. Ils ont la plante des pieds dure, comme s'ils étaient habitués à marcher pieds nus sur une lame de rasoir sans se couper ou s'écorcher. Ils sont les experts toutes catégories confondues de la pose de pièges. Aussitôt que tu es dans leur mire, tu ne peux plus t'extirper de leurs pensées machiavéliques et ils font une fixation sur ta personne. Ça les obsède. Ils feront tout pour gagner ta confiance, te flatterons dans le sens du poil jusqu'à ce que tu en redemandes, puis te feront sournoisement parler, verbaliser, vulgariser, avouer, dévoiler jusqu'à l'indicible... Méfis-toi de l'eau qui dort, me disait mon père.
Tu leur détailleras tes plans en toute confiance, même si c'est au compte-goutte, et ils noteront tout ce flot de mots pour mieux l'utiliser contre toi le moment idéal venu. Les hypocrites retiennent les détails, ils les gribouillent sur une feuille de papier (car les écrits restent), en font un éventail de fortune pour se rafraîchir avec lors de la canicule en manigançant un projet de destruction massif. Puis, la fraîcheur revenue, ils recyclent tout bonnement la feuille, sortent leurs talents en origami du placard pour en faire un avion de papier et visent alors sans foi ni loi la pupille de ceux qui seraient susceptibles d'être de ton bord avec ledit bolide, te jetant pas défaut la culpabilité, puisqu'en dépliant l'avion, tes mots sont écrits noir sur blanc sur le bout de papier fripé. «Qu'on te jette aux crocodiles!» hurlerait Cléopâtre en te pointant d'un doigt accusateur, l'œil en sang. Pauvre Cléo, tu t'es laissée emberlificoter.
Un croco, tu peux quand-même le reconnaître un peu quand tu t'y donnes la peine et que tu fais une Rantanplan de toi-même. Si tu as du pif, tu as une longueur d'avance sur lui. Déjà, ça pue de la gueule, un croco, tellement ça raconte des mensonges. Parce que son baratin, c'est difficile à digérer, même pour lui, et une mauvaise digestion, on le sait tous, ça fait puer de l'orifice buccal. T'avais pas remarqué? Trouve un hypocrite et reste à ses côtés lorsqu'il prend la parole... Tu verras que son souffle sent le dépotoir à plein nez. Si tu es toi-même un hypocrite et que tu lis ces lignes, je te conseille de t'acheter des caisses de menthes, même si on le sait tous très bien que ça ne pourra pas tout camoufler. Déjà, tu devras en ingérer à la tonne. D'ailleurs, attention que ce détail ne te trahisse pas, car c'est louche, quelqu'un qui s'alimente de menthes et d'eau fraîche jour après jour. C'est une diète plutôt inhabituelle.
Aussi, à force de te gaver de cœurs émiettés, des secrets des autres, de tromperies et de magouilles en sauce, tu transpires des toxines nauséabondes, probablement parce que c'est contre nature d'ingérer tout ça au quotidien. Si tu oublies ton déo et ton «splouch» d'eau de parfum, t'es fait à l'os. Tu traîneras dans ton sillon cet arôme d'oignons jaunes, toi qui en épluche au moins un kilo par jour pour arriver à brailler autant. Même ta pisse va puer l'hypocrisie, comme si tu avais dévoré un jardin d'asperges au complet. On va te sentir venir à dix kilomètres à la ronde. Ça sent de l'aisselle, du pinch et du pipi, un hypocrite. Et il ne s'en rend souvent même pas compte, le pauvre.
N'oublie pas non-plus, petit hypocrite que tu es, de te dessiner dans le milieu du visage un beau grand sourire ravageur avec ton rouge à lèvres fancy, pour cacher ta grosse face à claque d'être humain perpétuellement dégoûté. Tant qu'à y être, beurre-toi donc la margoulette au grand complet, ou laisse-toi pousser la barbe comme un vrai bûcheron. Ça cache bien des défauts, la barbichette. Tant qu'à camoufler ton air bête... aussi bien le faire en suivant les tendances du moment. L'hypocrisie, la vraie, c'est être maître dans l'art du trompe-l'œil, dans l'embellissement temporaire, dans l'injection de colorant alimentaire pour faire passer ta chair grise pour de la belle p'tite viande rosée bien fraîche. Tiens, je vais prendre une autre larme de rhum pour faire passer le tout dans mon gorgoton qui se resserre. Santé!
Non, les larmes de croco n'ont pas ce petit goût salé de la bonne vieille larme honnête. Elles sont aussi beaucoup plus bruyantes que les vraies larmes, s'écrasant en un fracas tonitruant sur les carreaux du sol et sont souvent accompagnées de gémissements excessifs, de coups de poing dans le mur et de spectaculaires faiblesses du genou à en faire pâlir d'envie tout acteur hollywoodien de renom. Tu connais certainement quelqu'un qui braille plus fort que les autres, cachant son visage à deux mains ou dans le creux de son coude en sanglotant comme si son cœur allait lui sortir par la bouche et la narines. En écrivant ces mots, je ne peux m'empêcher de rire. Tu connais aussi des individus qui, à première vue dithyrambiques, adorent lever leur verre à ta santé en ta présence, mais jettent bien vite leurs masques pour te déchiqueter et t'effilocher avec leur dentition acérée comme si tu étais une épaule de porc barbecue braisée et ainsi te dévorer goulument dès que tu lèves les feutres.
Et alors? Sache que le monde est ainsi fait. C'est Oscar Wilde, qui, par sa délicieuse plume, nous faisait de toute façon comprendre que «de nos jours tous les grands hommes ont leurs disciples et c'est toujours Judas qui rédige la biographie.».
[1] Comptine enfantine.
[2] Extrait de «Les Travailleurs de la Mer».