«Nulle amie ne vaut une sœur.» (Christina Rossetti)
«Some boys take a beautiful girl and hide her away from the rest of the world. I want to be the one to walk in the sun. Oh girls they wanna have fun. Oh girls just wanna have fun. [1]»... C'est ma sœur Pascale qui chante du Cyndi Lauper... au son (son prénom s'écrit avec un «e» à la fin, s'il vous plait. Pas Pascal comme le saint cierge. Et ne dites surtout pas Powscale si vous tenez à votre vie.). Elle avait à peu près quatre ans, et ne parlant pas l'anglais, le «just wanna» du refrain devenait un truc qui sonnait comme «tasse-toi Ben». Allez donc savoir comment ma cadette avait défriché cet impératif un brin loufoque, mais le «tasse-toi Ben» a résonné dans notre voiture pendant bien des étés. Ce Ben-là devenait pas extension un membre de la famille lors de nos longues épopées vers la Gaspésie pendant lesquelles on cassait les oreilles à papa et maman avec notre anglais inventé apposé sur des rythmes à la mode, le petit frère s'ajoutant par la suite au tintamarre. C'était musicalement... original, disons-le comme ça.
Pascale aimait beaucoup le «showbizz», voyez-vous. Cyndi Lauper, Madonna et Martine St-Clair étaient THE femmes à imiter et quand on faisait des spectacles de lipsync, elle ouvrait habituellement le bal avec un «On va s'aimer» bien senti accompagné d'une gestuelle pour illustrer les paroles, ou elle se tapait la chorégraphie complète de «Holiday», arborant pour l'occasion sa p'tite jupe laide à rayures bleues et blanches en lycra qu'elle portait pratiquement tout le temps lors des «grands jours» de performance artistique (parfois, elle mettait aussi le bandeau assorti, à la Olivia Newton-John des années quatre-vingt). Elle chantait «Please don't go girl» en prenant sa voix la plus aiguë pour imiter SON Joe des NKOTB. Ah! C'était le bon vieux temps, celui où elle sautait allégrement en béquilles à la corde à danser ou faisait du vélo avec un plâtre du pied à la mi-cuisse (oui elle faisait ça!) et celui où je pouvais lui faire faire n'importe quoi ou à peu près. Je me rappelle qu'on avait chacune une petite ombrelle et que je lui avais mis dans la tête qu'on était deux Mary Poppins en puissance. On se déguisait en princesses avec les vieilles fringues et les bijoux gracieusement donnés par nos grand-mères, on ouvrait l'ombrelle et on sautait de la galerie sans même se dire que ça ne fonctionnerait pas. On croyait d'ailleurs que ça avait fonctionné. J'ai toujours su qu'elle et moi, on savait voler grâce à nos parapluies magiques.
Ma sœur... Encore aujourd'hui, elle chante en voiture. Cette maladie n'a jamais été soignée. C'est elle, la queen des performances de «Carpool Karaoke», c'est-à-dire gueuler dans une voiture des paroles de chansons qui feront rire la galerie pour tuer le temps à coups de fausses notes pendant un long trajet. Dans cette optique, elle chante très mal «Gangnam Style» (elle a vraiment un coréen de crécelle) et est particulièrement intense sur du Bon Jovi (Ahhh-al-wayssssss), du Mylène Farmer (tout est chao-o-os...) ou du Marc Gabriel (Karianneeeeeee tu es la fin et le commencement...). Mouais. Et elle a bien d'autres artistes à son répertoire «balade en char», si ce n'est pas suffisant pour vous rendre dingue. Si vous saviez comme elle chante bien, ça aiderait à visualiser le tableau. Une chose est sure, mon chum trouve ça insupportable de voyager avec nous deux (elle qui chante et moi qui rit). Surtout quand on met de la musique grecque. Parce que Pascale... Elle aime la Grèce d'amourrrr! Et quand elle aime un truc, elle en parle... Elle radote comme un être sénile qui ne se rappelle plus avoir déjà tout dit ça mille fois plutôt qu'une à son interlocuteur. Je suis comme elle, ça doit être de famille, cette tare. Saviez-vous qu'en grec, oui se dit né et non se dit ochi? De quoi virer fou à hocher la tête dans le mauvais sens. Ah. Je vous l'ai déjà racontée, celle-là? Sorry.
Un grand moment de notre vie de jeunes femmes a donc été ce fameux voyage en Grèce qu'on s'est offert entre sœurettes en 2010. Pascale avait comme historique de voyage à l'étranger une unique escapade de l'autre côté de la frontière américaine, à Van Buren, pour aller acheter de la gomme à mâcher et des chips au dépanneur, dans les années quatre-vingt-dix... Un gros vingt minutes avec nos cousins à découvrir que les Américains vendaient leur lait en cruches et non en sacs, l'exotisme dans sa plus intense expression, bref! Alors le pays de Socrate, ça a été franchement une expérience mémorable. Pour pratiquer son anglais, je l'envoyais nous commander à bouffer en la surveillant du coin de l'œil, et elle revenait toujours avec la même chose: Des tyropitas. Non mais pourquoi tenter le diable quand on a une recette gagnante? Après tout, de la bouffe, c'est de la bouffe! Je l'ai vue faire un cent mètres dans le stade d' Olympie en levant les bras victorieusement, fière de sa médaille imaginaire. Je l'ai vue presque rentrer dans un mur pierreux, à Corfu, après avoir voulu s'extirper d'un passage exclusivement piétonnier avec sa Chevrolet Atos grecque (qui arborait un superbe clou dans un pneu, d'ailleurs). Je me rappelle aussi notre hilarité à entendre un vendeur de loukoums hurler à tout bout de champ «pet de vro» dans le traversier vers Mykonos. Pendant des jours, elle a tenté, alors que je riais derrière elle, de trouver ce que ça pouvait bien vouloir dire, demandant dans un anglais cassé à des commerçants (qui eux, levaient les sourcils d'incompréhension totale) et épluchant son petit guide linguistique pour traquer les indices. Pour finalement découvrir que «pet de vro» était en fait «pente evro»... Cinq euros. Le prix de la boîte de loukoums. Tout ce branle-bas de combat pour une maudite boîte de nanan. M'enfin... C'est ça ma sœur!
Cette femme a toujours été une âme généreuse tout en sensibilité. Ça en prenait une dans la famille. Son cœur, à ses heures, joue du piano en choisissant les plus belles notes de la gamme. Parfois défenderesse d'une panacée de causes perdues, elle s'implique émotivement (attention, la tornade approche) dans des discussions un brin intense sur les réseaux sociaux, quitte à se fâcher et à m'écrire en privé les griefs qu'elle a contre le monde entier, ou elle nage le papillon dans des amours compliqués (mais ça, c'est le passé, tsé. Le présent est plus sympa et il chauffe un quatre-roues.). Mais ça finit par passer, le nuage se dissipe et le clown revient en force! Heilleeee. J'aime pas le clowns, moi (Ronald McDonald me fait flipper big time), sauf qu'elle et sa binette rieuse, ça passe. C'est la seule «clo-clown» que je puisse tolérer sans faire pipi dans ma culotte... Probablement parce qu'elle ne porte ni perruque ni maquillage «weirdo», mais ça, c'est une autre histoire. Elle m'étiquette d'ailleurs sur le web dans des vidéos de clowns pas gentils (la pas fine!) pour que je ne dorme pas de la nuit. Dans ça et dans des remakes de vidéos de covers musicaux des années quatre-vingt version Heavy Metal (allez sur youtube et entrez «Tourne la page», du groupe «Ta Mère» pour le plaisir de la chose! Et vous comprendrez tout...). Je me rappelle que je faisais semblant de tomber dans les pommes pour la faire capoter, quand j'avais six ou sept ans. J'avais pratiqué le mouvement de l'effondrement mollasson et je le maîtrisais plutôt bien, pour une gamine, quand je m'exécutais. «Maman! Marie-Eve est morte!», s'écriait-elle, paniquée, en accourant à la cuisine pour l'avertir. Et ma mère de me crier, d'un ton lourd de sous-entendus: «Quand tu auras fini ton cinéma, tu viendras nous retrouver». Et je me relevais, au grand soulagement de Pascale qui retournait à ses poupées Barbie, l'âme en paix.
Pascale... La belle Pascale et son intensité, et qui ne fait jamais rien à moitié. Elle est capable, même encore aujourd'hui, de me réciter les répliques du film «Clenche» comme si c'était normal... «La patate est balaise. Contact en laiton... Bla bla bla...». Elle a profondément aimé Keanu, il faut le dire. Mais ce n'était qu'une banale amourette à comparer avec son crush pour Dwayne Johnson alias The Rock, crush qui continue encore aujourd'hui. Parce qu'on regardait la lutte avec mon frère, quand on était enfants. Et Pascale avait flashé sur le beau Rock, mais alors là, pas à peu près. Elle avait des cœurs dans les pupilles et sentait clairement ce que le Rock cuisinait, si vous voyez ce que je veux dire (Tu vois pas? C'est que tu ne connais pas la lutte. Nul n'est parfait en ce monde, après tout). Lorsqu'à l'âge de quatorze ans, elle a eu son premier chien, il allait de soi que The Rock devait être le nom de ladite bestiole poilue. Surtout que lorsqu'on voulait le peigner, l'animal se transformait clairement en méchant lutteur (il y avait les gentils et les méchants lutteurs) de la WWF (il faut dire WWE maintenant, il parait). Depuis, elle n'en démord pas, Dwayne est le vrai amour de sa vie, faisant passer son chum au deuxième rang. C'est comme ça, «beauf», il faut t'y faire! C'est aussi sa Martine St-Clair qui chantait: «Il y a de l'amour dans l'air», anyway, et ma sœur connaît clairement la chanson.
Ma sœur est ma comparse de prédilection. Je suis celle qui l'accompagne pour la soutenir lorsqu'elle tenter de trouver chaussure à son pied inchaussable. Je suis aussi celle qui devine toujours quel dessert elle va prendre dans un restaurant (celui au chocolat, come on! Avec un maudit café brésilien...). Je suis aussi celle qui rit aux larmes de ses histoires abracadabrantes, comme la fois où Michel Côté lui a demandé de chanter «La p'tite grenouille» en plein restaurant, ce qu'elle a fait avec plaisir. Je l'imagine tellement fredonner gaiement un «j'en ai fourré des G...» dans une salle bondée. Son genre. Parce que ça prend juste MA sœur pour oser s'exécuter ainsi. Je ne ris jamais d'elle, je ris avec elle, et son audace ne frise pas le ridicule, au contraire. Elle est la meilleure en harcèlement aussi. Oui, vous avez bien lu. Parlez-en à ma tante Suzanne, qui a été victime de sa technique infaillible quand, en début vingtaine, elle nous a présenté son nouveau chum, Gilles... Première question de la petite Pascale (encore attriquée de sa jupe rayée en lycras): «Quand vous allez vous marier, vais-je être votre bouquetière?». Pas de pression du tout, hein! C'était le mot «pascalèsque» de bienvenue dans la famille pour toi, Gilles, le nouveau chum de ma tante. Tout en intensité. La question est devenue une affirmation dans les mois qui suivirent: «Je vais être la bouquetière de Suzanne et Gilles, moi!»... Est-ce que Suzanne et Gilles ont eu le choix? Cassé [2]! Pascale fut bouquetière. Dans une belle robe blanche à froufrous, parce que c'était ça, le but ultime.
Avoir une sœur, ce n'est pas toujours facile. C'est traumatisant de ne plus être l'enfant unique. La naissance de ma sœur est mon plus lointain souvenir. Je n'avais pas deux ans, mais je me rappelle être allée visiter ma maman à l'hôpital. Vous savez, il faut lui prêter ses jouets, à cette petite sœur-là et l'humain ne partage pas de nature. Il faut aussi partager sa chambre, parfois, et ça crée de la bisbille. En vieillissant, on prend des chemins différents, on vit nos crises d'adolescence, on n'écoute plus la même musique, on n'a plus les mêmes potes. C'est comme ça, la vie. Les carrefours sont nombreux dans une existence, et même si on emprunte une route distincte pour mener de front nos vies et le tumulte qui en découlera par moments, on se fait casser les oreilles depuis notre tendre jeunesse que tous les chemins mènent à Rome (ou au Parthénon, hein, ma sœur?), donc il faut croire qu'on finit toujours par se retrouver en bord de route avec beaucoup d'amour à s'offrir. Les affinités naturelles avec ceux de notre sang ne sont pas toujours évidentes et on ne choisit pas sa famille. Non. Mais elle, cette belle femme aux yeux pairs, je la choisirais n'importe quand.
P.S: Les sasquatchs, ça n'existe pas, Pascale.
[1] Girls just wanna have fun, chanson de Cyndi Lauper.
[2] Expression du film Brice de Nice.