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Astori, Winehouse et les autres


«Pareil à la fleur, l'homme s'épanouit et se fane, il s'efface comme une ombre.» (Livre de Job, La Bible) 


          La vie est courte, mais elle nous leurre bien. Elle porte carrément un long manteau d'illusionniste et nous laisse croire que le sablier égrène son fin filet de sable comme les doigts habiles d'un chef saupoudrant timidement du sel dans une marmite de soupe fumante... ou comme le supplice de la goutte d'eau, plock, plock, c'est selon. On ouvre grand les «quenoeils [1]» et soudain, MAAA-GIE, on se rend compte qu'on a une année de plus, une poignée de cheveux gris supplémentaires, de nouvelles pattes d'oie accrochées au coin des yeux... Oui, la vida est cette femme toute en courbes qui se pavane au Mardi Gras masquée d'un visage de donzelle aux joues rose pour cacher comme une pro ses petites rides au vu et au su de tous. Elle nous laisse croire qu'elle baigne dans cette naïve jeunesse éternelle, même si elle est déjà bien vieille en âge, rabougrie et ratatinée comme un pruneau et qu'elle ne trouvera jamais cette fontaine de Jouvence tant espérée. C'est comme cela. La jeunesse est volatile, point barre.


            Il y a quelques jours, Davide Astori, jeune capitaine de 31 ans de la Fiorentina, est décédé pendant son sommeil. Comme ça. Tout bonnement. Un cœur qui arrête de battre comme une pile qui tombe à plat. Ça m'a marquée, je l'avoue. Non, je ne connaissais pas Davide, je n'avais d'ailleurs jamais entendu parler de lui avant l'annonce de son décès. Sa soudaine mort aurait donc dû passer comme un simple fait divers dans ma vie à cent miles à l'heure comme dans celle de milliers de gens sur la planète. Après tout, qui était-il? Que représentait-il pour nous tous? Sauvait-il des vies au quotidien? Ou élaborait-il des lois pouvant faire la différence dans le monde? Avait-il changé MA vie? Non, aucunement. Mais malgré tout, j'ai été touchée... J'ai été surtout touchée par une vidéo [2] ayant circulée sur le web où, à la sortie du cercueil de l'église, des centaines d'Ultras, ces spectaculaires fanatiques de football hyper dédiés à leur équipe et au sport, attendaient leur capitaine pour un dernier chant d'au revoir avec drapeaux et fumigènes, chantant en chœur un «Davide, Davide, Davide» plus que senti. J'ai reçu ce grand coup de vent d'émotions à fleur de peau. Puis, je suis devenue le temps d'un souffle d'instant une fan de la Fiorentina et Astori était mon capitano.


            L'être humain admire, adore, adule. Tout ça avec de beaux grands A comme dans amourrrrrr. C'est dans sa drôle de nature un peu fucked up d'être tout en hyperbole, cela dit. On a besoin dans nos vies délirantes de ce qu'on appelle les nouvelles religions pour nous permettre de cultiver notre sentiment d'exister au maximum. Et on veut exister! On le hurle à qui veut bien l'entendre. On veut pouvoir dire dans nos vieux jours qu'on a vécu pleinement, follement, exagérément et tous les autres -ment de l'univers! On focalise toute notre ferveur dans les sports, la musique, les amitiés, les réseaux sociaux, le boulot, ou dans nos passions et du coup, on devient tous de grands fans de Davide Astori, on trouve son histoire triste à en crever nous aussi, on a l'impression qu'on le connaissait un peu et on est presque sur le point de s'acheter un maillot de la Viola [3]. Bon. J'exagère. Un peu. Bref... Il est véridique d'affirmer que lorsqu'on aime... on AIME en majuscule avec quatre points d'exclamation à la suite du mot. Qu'on soit Québécois, Français, Américain, Mexicain, Turc ou de la planète Mars, l'engouement pour les vedettes, c'est dans notre ADN. Et lorsque les vedettes quittent, meurent ou passent du mauvais côté de la force, ça nous fait mal.


            Je me rappelle, il y a longtemps maintenant, avoir eu l'impression de vivre par procuration la descente aux enfers de MON Amy Winehouse. Lorsqu'à vingt-sept ans à peine, l'âge maudit, elle s'est éteinte comme une bougie soufflée par la brise, j'ai versé une larme et j'ai écouté en boucle Tears Dry On Their Own pendant toute une semaine. J'avais le sentiment que je perdais mon amie Amy, celle qui, les jours heureux comme les tristounets, m'éclatait le cerveau avec sa musique, avec sa voix veloutée et sa grande beauté imparfaite de pin-up punky pendant qu'elle éclatait le sien dans un concert de feux d'artifices à grands coups de drogues dures noyées dans des rivières d'alcool fort.


He walks away

The sun goes down

He takes the day, but I'm grown

And in your way

In this blue shade

My tears dry on their own [4]


             Pourquoi aimons-nous tant les personnalités publiques, d'ailleurs? J'ai quelques hypothèses probablement saugrenues sur le sujet, mais je vous les partage quand-même. Déjà, on a tous une star qui dort en nous. Soit elle chante, elle danse, elle acte ou elle joue au hockey, et n'en déplaise à ceux qui croient que vouloir attirer l'attention est malsain, il n'en est rien. On a tous le droit d'être la vedette de sa propre vie, oui monsieur, et rien ne nous oblige à être discret pour être humble. L'humilité, de toute façon, s'avère bien souvent fausse et est utilisée pour qu'autrui vante nos mérites lorsqu'on les rabaisse. C'est un mignon petit truc, l'humilité jouée, pour mousser son égo comme l'écume d'un cappuccino. Pourquoi ce que Marie-Mai, Gwen Stefani ou David Beckham font serait plus acceptable que ce que «je-me-moi» pourrait oser tenter? En quoi ces gens ont plus de droits et de valeur que moi de mener leur vie comme bon leur semble, si je suis consciente et consentante? Oui, la plupart des êtres rêvent de notoriété et par le fait même, aime s'imaginer vivre la vie de toutes ces célébrités et se projeter dans un univers de reconnaissance publique. On veut être des vedettes, avoir son quinze minutes de gloire, être reconnu dans la rue, ne serait-ce qu'une seule fois. On s'attache à ceux à qui on veut ressembler... À ceux qu'on aimerait connaître et côtoyer... À ceux qu'on trouve cute à mort dans notre écran de télé. On s'intéresse à une star en particulier, ou à toutes, lorsque notre cœur est assez grand pour loger tout le monde. On est groupie (bon, il faut dire fangirl, il parait) ou fidèlement dévoué, ça fait moins obsédé dit de même. On fait des courbettes, des révérences et des compliments à ces individus que l'on croit d'exception... mais qui font caca et pipi comme tout le monde (Pardon my French)!


             Puis, il faut se l'avouer, on a besoin de s'identifier à quelque chose qui s'apparente à une parcelle de rêve et c'est souvent à même nos rares loisirs que ça se passe. Ainsi, les fans finis de soccer vont cibler leurs joueurs préférés et ils resteront leurs chouchous à jamais, même après leur retraite, c'est peu dire. Ils développeront des inclinaisons pour le king Didier, pour Zlatan, ou pour le capi Bernier, pour la très athlétique Stéphanie Labbé... Ils scoreront le but gagnant de la coupe du monde par procuration et pleureront les défaites comme si l'échec leur était personnel. Les adeptes de séries et de téléromans, eux, vont plutôt s'enticher de la kyrielle d'acteurs les touchant le plus. L'émotion, on aime ça et le naturel nous fait virer sur le top. On adore quand ça crève l'écran. Ainsi, on aimera follement les Karine Vanasse, les Ludivine Reding et les Louane Emera de ce monde, on les trouvera ravissantes «pis toute pis toute». On prendra leur défense avec ferveur sur Face-de-Bouc et sur Twitteure quand des foutus trolls les prendront à tabac parce qu'elles ont des seins et un vagin. Quand on les croisera au supermarché, on zyeutera en catimini leur panier d'épicerie débordant de victuailles pour découvrir quelle sorte de confitures elles achètent, qu'elles aiment les carottes anciennes ou les chips au ketchup et on les copiera bêtement même si on préfère les chips ordinaires.


             Ceux qui n'admirent personne, je me questionne sur l'état de leur santé mentale. Je me questionne sur leur capacité à rêver. Je me questionne sur le regard qu'ils posent sur eux-mêmes. Je me questionne sur leur aptitude à se passionner pour quoi que ce soit. Les gros nombrils d'aujourd'hui sont-ils capables d'amour? J'espère que oui. Peut-être ne verseraient-ils pas de larmes à-propos de Davide Astori ou de Amy Winehouse, contrairement à mes gros yeux braillards de nature, mais j'espère secrètement, au fond, que les larmes leur viennent quand-même, ne serait-ce que pour montrer une compassion qu'ils savent si bien cacher. 


             Et tant que la Terre tournera, je mettrais ma main à couper qu'on continuera de pleurer nos idoles... Nos Michael Jackson. Prince. Johnny Hallyday. Romy Schneider. Dalida. France Gall. James Dean. Félix Leclerc. Ghandi. Pedro Infante. Selena. Robin Williams. Carrie Fisher. Chester Bennington. Jeanne Moreau. Elvis. John Lennon. Gord Downie. Janis Joplin. Kurt Cobain. Jimmy Hendrix. Davide Astori. Amy Winehouse. Et les autres.


             Si la vie est éphémère, l'amour, lui, reste éternel.


[1] yeux



[3] l'équipe en violet


[4] Tears Dry on Their Own, par Amy Winehouse.



| par La vie est un piment

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