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La tarte aux fruits diabolique



«On doit laisser en paix les gens chargés de la cuisine.» (Pierre Benoit)


Avertissement: Ceci est une vraie recette. C'est juste une peu périlleux de t'y aventurer en suivant mon pas, mais si tu as le goût du risque, vas-y, gâte-toi!


«Sors de ma cuisine!», m'écrié-je comme une &?$*/% de folle. Je brandis ma cuillère de bois sous le nez de mon amoureux, l'autre main sur la hanche, me voulant menaçante, puis sous le museau de mes chiens qui attendent à mes pieds comme deux pathétiques bibelots que j'échappe malencontreusement une fraise ou un quartier d'orange. Ils m'énervent! Ils m'enragent! Ils me pompent les baskets! J'ai envie de les rentrer dans le mur et de les «puncher» avec mes gants de boxe rose qui dorment dans la garde-robe tout près, mais je respire et je me dis : «Zé-ni-tu-de! Inspire, expire! Namaste!». Puis, une fois les intrus chassés, je me penche sur ma recette et je me concentre un peu.


On y parle de la pâte, et de la crème pâtissière, dans cet ordre. Mais ne crois-tu pas qu'il serait plus logique de faire la crème avant la croûte? La crème doit reposer au réfrigérateur jusqu'à ce qu'elle soit froide et figée, tel un cadavre gisant tout raidi dans son cercueil. Ça peut être long... et je ne suis pas si patiente que ça, disons. Mais de la crème pâtissière molle et dégoulinante dans une croûte, ça ne vaut pas de la tarte, justement. Alors, je tranche tout de go et commence par la crème, c'est décidé. C'est facile comme tout, du moins en théorie. Je prends une casserole moyenne, et je «pitche» dedans deux gros œufs (Pas extra gros, là, seulement gros.), une demi-tasse de sucre blanc normal, trois cuillérées à soupe (Ou à table... Je me demande d'ailleurs pourquoi les unités de mesure ont deux noms... C'est barbant à crever! Mon chum me demande tout le temps c'est quoi la différence entre les deux.) de farine tout usage, et une cuillérée à table (juste pour te mêler bien comme il le faut) de fécule de maïs. Et là, attention, DANGER de la mort qui tue: Il ne faut pas ouvrir le feu tout de suite! Il faut fouetter avant. Alors je fouette. Je veux un mélange lisse comme mes cheveux lorsque je viens de les «repasser» au fer plat. Puis, j'ouvre le feu. Dans le sens d'ouvrir le rond de ma cuisinière. Pas de tirer à bout portant avec un pistolet. On se comprend.


C'est là que j'ai besoin d'une main supplémentaire parce que c'est tricky, la maudite crème pâtissière. Tu dois battre le mélange sans arrêt jusqu'à ébullition tout en y versant du lait chaud en un fin filet. Si tu ne bats pas et que tu incorpores trop vite le lait, le liquide fumant va cuire les deux beaux gros cocos que tu as mis dans la casserole au début et ça te fera de superbes œufs brouillés bien sucrés (beurk) au lieu d'une belle crème divine et uniforme. Tu ne veux pas ça, crois-moi sur parole. Donc, j'appelle THE chum, celui même que j'ai si gentiment et délicatement chassé de mon territoire il y a dix minutes à peine, puisque mes deux mains tiennent la casserole et le fouet. C'est comme ça, je n'en ai que deux! J'en veux une troisième pour verser tout doucement les deux tasses de lait chaud pendant que je me fais des bras d'haltérophile à mélanger le tout comme une automate. L'homme de la situation arrive avec la mine un brin réfractaire. Je ne comprends pas pourquoi (raclements de gorge). Je sens qu'il n'a pas trop envie de m'aider après ma petite scène de ménage... mais je me fais aussitôt un devoir solennel de lui rétorquer d'un ton qui ne laisse aucune marge de manœuvre qu'il sera le premier à dévorer ladite tarte bénie des dieux, une fois que j'aurai réussi à la confectionner. Toute la tarte dépend de sa main, en fait. C'est aussi simple que ça. Il s'exécute finalement sans trop broncher pendant que je touille à la vitesse de la lumière.


Le lait étant bien incorporé, la balle est dans mon camp. Je dois continuer à la vie à la mort de vigoureusement brasser le mélange jusqu'à ce qu'il bouille. Ça me semble une éternité! Je touille, je fouette, je brasse, je me dandine un peu car j'ai aussi envie de pipi, mais j'aurais dû y penser avant. Tant pis, je vais faire travailler les muscles de mon plancher pelvien quelques minutes en intensif, et il ne devrait pas y avoir mort d'homme... sauf si la salle de bain est occupée quand je vais m'y ruer en trombe, aussitôt la crème prête. «Man, je t'avertis, je vais aller faire pipi dans pas long. Laisse-moi le champ libre!», préviens-je. Parce que mieux vaut prévenir que guérir, tout le monde sait ça. Bref, ma crème finit par se rendre à son climax, et s'épaissit par magie. Je la laisse profiter d'une minute entière de belles grosses bulles avant de retirer la casserole du feu. C'est comme pour les soirées de tequila: Il faut savoir s'arrêter au bon moment.


Après mon p'tit pipi (hé non, je n'ai pas oublié de me laver les mains), j'ajoute de la vanille au mélange... La vanille et moi, on vit une relation un brin compliquée. J'aime en mettre un peu, beaucoup, passionnément et à la folie, et je n'ai pas acquis le sens de la «modération vanille» (ni de la «modération piment», mais ça, c'est une autre histoire). Aujourd'hui, je feel pour en mettre une cuillérée à thé et demie, parce que je me sens vanillée à souhait moi-même. Alléluia! La crème est prête! On la met dans un cul-de-poule (Dans un bol. Pas dans le cul de la poule. Je précise, juste au cas où). Et on la recouvre de pellicule plastique pour ensuite la laisser refroidir au frigo. Lis bien ceci, je vais te donner un truc: Si tu ne veux pas que la crème transpire et que de la condensation se crée dans le bol, colle la pellicule directement sur la crème, sans laisser d'espace. Il faut éviter l'effet de serre. Les saunas ne sont jamais bons pour la crème.


La pâte, astheure [1]. C'est périlleux, faire de la pâte. Elle ne sort jamais pareille d'une fois à l'autre. Comme je dois me concentrer, je demande à ma media naranja [2] qui squatte le salon s'il veut de l'eau, du jus, une bière, des chips au ketchup, un bol de Raisin Bran... alouette. Aussi bien réduire le danger de trafic inattendu pendant que je bosse dans le secteur à risque. Je devrais convertir ma cuisine en petit Montréal et en barrer l'entrée avec des cônes orange. Puisqu'il ne veut rien, je commence, pour mieux en finir. Déjà, oups, j'ai fait une gaffe. J'aurais déjà dû starter mon four, car il est lent à se rendre à destination. C'est un four pas pressé, un peu comme un escargot qui traverse une rue. Je le règle à 400°F. En Celsius, je ne sais pas trop combien ça fait. Qui comprend quelque chose aux conversions entre Fahrenheit et Celsius, de toute façon? Est-ce que l'univers avait vraiment besoin de deux façons équivalentes de nous signifier qu'on gèle huit mois par année? Et pour faire compliquer, si on dégote une recette sur un site web français, on n'y comprend que dalle. Ils parlent en grammes, en plus d'en Celsius... Moi, je n'aime que les tasses et les Fahrenheit, bon! Mais si la recette à l'air délicieux, je sors tout de même ma calculatrice et ma balance, et je convertis, non sans ronchonner. C'est à ça que me servent toutes les fractions que j'ai étudiées au secondaire, après tout!


Ok. Je m'égare. Focalise, Marie, focalise! Où en étais-je? Ah oui! J'ai besoin de deux bols. Un pour le sec et un pour le mouillé. Dit de même, on dirait que je parle de lavage, mais non, je confirme que je suis bel et bien ancrée comme un piquet devant mon comptoir de cuisine. Mais parce que je suis paresseuse, je vais tricher. Je prends un seul cul-de-poule, et j'utiliserai mon batteur sur socle pour la deuxième partie. Dans ton bol, tu mélanges une tasse et un quart de farine tout usage avec un peu de sel, mettons un quart de cuillère à thé. Puis, dans l'autre (si tu as encore des bras après avoir touillé la crème pâtissière presque jusqu'à ce que mort s'en suive), tu mixes beaucoup de beurre (une demi-tasse) avec la même quantité de sucre en poudre. Comme j'ai un batteur sur socle méga luxueux, je laisse pénarde la machine me faire un beau mélange homogène sans forcer une seconde. Pourquoi souffrir quand on peut payer 350 piastres et minimiser son effort pour des siècles et des siècles (amen)? Il ne faut pas battre le mélange beurre-sucre trop rapidement, by the way. C'est écrit noir sur blanc dans ma recette. Ne me demande pas pourquoi, c'est comme le mystère de la Caramilk. Après, tu y mets deux jaunes d'œuf, pas d'éclats de coquille, si possible. Ah! Et une autre bonne dose de vanille, disons une demi cuillère à thé (je dis ça au pif).


C'est ici que l'on doit ajouter les aliments secs dans le bol de beurre. Fais ça mollo! J'ai fais l'inverse, j'ai tout mis one shot, et ma belle cuisine couleur acajou s'est subitement transformée en tempête de neige bas-laurentienne. On aurait dit une party de cocaïne dans Scarface tellement ça poudrait de partout! Et c'est ici que je me rends compte que j'ai fait chauffer mon four pour rien. Merdouille! La maudite pâte doit reposer une heure complète dans le fridge avant qu'on ne la cuise! J'ai donc une heure à égrener et aucun plan qui vaille. On peut faire quoi en une heure? Du ménage? No way! De la lecture? Bof. J'ai peur de m'investir dans l'histoire à un tel point que je décide de ne pas cuire de pâte du tout pour continuer à lire. Je me connais, aussi bien ne rien risquer en ce sens. Je choisis plutôt d'aller perdre mon temps à naviguer sur les zinternettes pour zyeuter les commentaires cons sous les textes du Huffington Post jusqu'à ce que le bip de mon micro-ondes me rappelle que la pâte a assez roupillé.


Une telle pâte est trop friable pour qu'on ne la roule. Ça me convient big time parce que je déteste faire des tentatives au rouleau pour obtenir un rond de pâte parfait. Ça ne fonctionne que dalle, on dirait que j'ai un don inné pour rouler des rectangles au lieu de cercles, et j'ai tendance à serrer le poing de rage, ce qui n'est ni bon pour mon cœur ni bon pour mon couple. La bonne nouvelle, c'est qu'aujourd'hui, j'ai juste à verser tout le pâton dans un moule à fond amovible (avec un beau rebord de fantaisie, pour faire plus chouette) et à presser la boule jusqu'à ce qu'elle en couvre toute la surface. Je mets un peu d'enduis antiadhésif dans le fond du moule avant, juste par précaution. J'ai pas envie de sacrer comme une bûcheronne parce que mon fond de tarte colle et se désintègre comme un astéroïde qui traverse l'atmosphère. Puis, on cuit la chose quatorze minutes exactement. J'ai déjà testé la recette et quatorze minutes, ça fait amplement la job. À quinze, tu joues avec le feu... On veut que ça se tienne et que ça ne goûte pas le brûlé, sans plus. Une fois le fond cuit, tu le laisses refroidir et tu le démoules. J'ai l'air de te dire ça comme une évidence flagrante, mais je suis une piètre démouleuse de fonds de tarte. Laisser refroidir, ça a un sens que mon cerveau n'arrive juste pas à assimiler. Il faut croire que j'ai un goût insatiable pour le risque...


Donc, j'ai un fond refroidi, j'ai une crème figée et j'ai des fruits frais. Ça prend absolument des fraises. Je suis une puriste: Une tarte aux fruits sans fraises, ce n'est pas une vraie tarte. C'est une mascarade de tarte, une arnaque, un escroquerie, une aberration! Même si on est en plein dans la mauvaise saison pour les fraises et que celles que j'ai coupées sont plus blanches que mes jambes sans bronzage, je les mets quand-même. Ensuite, tu peux bien ajouter n'importe quoi. Je choisis des bleuets, c'est ce que j'ai sous la main, mais j'en ai déjà fait avec de l'ananas, du kiwi, des mûres, des mangues, des cerises... Je coupe mes fraises en quartiers et je les places pour faire joli. Bon. Peut-être que ce n'est pas si joli que ça, en fait, et que ça semble plutôt kitsch, mais c'est MON goût, et c'est MA recette, donc pas de commentaire, sinon, rappelle-toi que j'ai encore ma cuillère de bois à portée de main...


Dès que je sors le couteau, les deux carlins reviennent à la charge, piteux, pour quémander des fruits. C'est un typique cas de conditionnement opérant. Ils auront beau chigner, qu'ils prennent leur gaz égal. Je ne glace pas mes fruits avec de la gelée ou de la confiture, soit dit en passant, car c'est trop sucré à mon goût. J'aime mieux me faire croire que ma tarte est plus santé parce qu'elle contient moins de sucre (mais une demi-tasse de beurre, je le sais, pas besoin de me le rappeler). Et c'est tout. FINITO! La diabolique tarte est prête. Il ne reste qu'à la mettre au frais pour que tous les éléments macèrent un peu, puis à la déguster sans modération... ou avec, si tu fais de la bedaine.


Je mérite de m'effondrer devant le téléviseur avec une bonne bière en me trouvant full hot... jusqu'à ce que je me rende compte, une heure après, que j'ai oublié d'éteindre le foutu four (Chut! C'est entre toi et moi...).


Bon appétit. Ou pas. Ça dépend si tu as réussi. Moi, en tout cas, j'ai réussi.



[1] maintenant


[2] âme soeur


| par La vie est un piment

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