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Cher Québec


«De ce grand pays solitaire

Je crie avant que de me taire

À tous les hommes de la terre

Ma maison, c’est votre maison

Entre ses quatre murs de glace

Je mets mon temps et mon espace

À préparer le feu, la place

Pour les humains de l’horizon

Et les humains sont de ma race » (extrait de Mon pays, de Gilles Vigneault)

Cher Québec,


            Cette semaine, c'était ta fête. Tu t'es paré de bleu et de blanc et a explosé en mille et un feux d'artifices, en chansons folkloriques et en feux sur la grève du grand manitou de fleuve, nous rassemblant tous comme par magie à quelque part, fédéralistes, souverainistes, nouveaux arrivants, arrivés depuis longtemps, fans des Canadiens de Montréal ou des Bruins de Boston (oui, oui, même ceux-là!), mangeurs compulsifs de poutine, buveurs de mojitos, célibataires, mariés, accotés, papas de trois chiens et de deux chats ou d'une tribu de trois rejetons...


            Tous, nous avons chanté Gens du Pays, les yeux mouillés par l'émotion, par un trop plein de vino ou par l'engouement collectif, poussés par cette force intérieure ayant permis jusqu'ici aux Québécois de résister à l'assimilation, à la dérive et à cet appétit nord-américain fulgurant. Il faut dire que ce n'est pas simple d'être Québécois, c'est même parfois plutôt l'enfer. On bûche pour conserver notre langue alors que nous ne sommes qu'une petite tache sur une carte monochrome. Certains se démènent d'ailleurs plus que d'autres. Leurs crocs sont plus aiguisés. Entre vous et moi, l'anglais est de plus en plus présent dans notre quotidien et au travail, et que ce soit par paresse ou par facilité, c'est tellement plus simple de speaking English! Après tout, écrire l'anglais, c'est ridiculement simple. Il n'y a pas de participe passé employé seul, avec être ou avec avoir. Il n'y a pas dix foutues façons d'écrire le son «o» (oui, en voici la preuve: o, ot, os, au, eau, aux, eaux, ots, ault, eault). On n'a pas besoin d'assimiler des trucs bizarres pour savoir si le verbe en «er» prend l'accent aigu ou garde sa forme infinitive, ni des petites phrases toutes faites comme celle qui dit que les «si» n'aiment pas les «rait» afin de savoir écrire le conditionnel présent. Il ne faut pas être fait en guimauve pour oser choisir le français comme langue à usage quotidien dans un pays où une option plus simple et plus généralisée est offerte. Ça prend du courage, de la persévérance et de l'entêtement. Et une toute petite touche de folie. Ça, j'aime bien.


            La voie facile, c'est de se trouver cool en regardant Netflix dans la langue de Shakespeare ou en se gavant les oreilles de musique américaine à tous les soirs après le boulot et de ne consommer que cela, ne trouves-tu pas? Or, tu regorges d'une poésie qu'on ne retrouve à nulle part ailleurs, cher Québec. Une poésie hybride, entre nos deux solitudes, nos pôles, nos contradictions. Dans ta musique, dans tes livres, dans ta télé, dans le nom de tes villes et villages, de Normétal à L'Anse Pleureuse en passant par Port-au-Persil et Saint-Ours. Lorsque tu te mets à nous «gillesvigneaulter» la danse à Saint-Dilon, à nous «leonardcoheniser» jusqu'à ce que tout le monde le sache, à nous «gastonmironiser» les idées éparses, à nous «arianemoffatter» sous les réverbères, à nous «patricksénécaliser» à en crever de trouille, à nous «pierrelapointer» la forêt des mal-aimés, à nous «marielaberger» le goût du bonheur, à nous «élisapieisaaquiser» les racines originelles,  à nous «émilenelliganiser» notre jardin de givre,  à nous «danylaferriériser» les après-midi sans fin, à nous «xavierdolaner» les amours imaginaires, à nous «félixleclerciser» les souliers voyageurs et à nous «paulpicher» le printemps heureux, on se redécouvre un peu plus à chaque fois. En même temps, ne m'en veut pas d'aller voir ailleurs si j'y suis. L'identité ne se forge pas en se repliant sur soi-même. Elle se déploie lorsque l'on sait se distinguer des autres. Or, on ne peut pas y arriver si on ne va pas découvrir le monde, que ce soit en livres, en musique, en cuisine ou en voyageant. Avant de se connaître, il faut se comparer. L'identité, c'est un peu mettre l'accent sur ce qui fait que je ne suis pas comme l'autre. Ou que je le suis.   


            Aussi, cher Québec, permet-moi de douter de certaines généralités que des politiciens tentent de t'imposer, de nous imposer. Ils détournent impunément le concept d'identité pour en arriver à leurs fins: gagner en popularité (Mais quelle surprise! Not.). Or, l'histoire a mille fois montré que ce qui est populaire et démocratique n'est pas toujours éthique ni acceptable. Je n'aime pas te voir te recroqueviller en petite boule sous le joug d'une droite plutôt drama queen. Tu n'es pas la Castafiore ni Miss Piggy. Tu as toujours été inclusif, généreux et accueillant. Ne laisse aucun politicien te dicter comment tes habitants devraient agir avec le monde entier, avec ceux et celles qui ne viennent pas d'ici mais qui foulent nos terres. Il est faux de penser que pour être égaux, nous devons tous être identiques, et que l'identité collective doit primer à tout prix sur l'identité individuelle. Les deux peuvent cohabiter, et tous ne devraient pas avoir à suivre la même recette insipide tels des androïdes préprogrammés. Donne-moi le droit de me méfier des phrases commençant par «ici, au Québec...». Je pense que ton peuple ne devrait pas avoir peur de l'étranger. Après tout, il est lui-même multicolore et possède autant d'accents que de villages. Ici, nous sommes pratiquement tous des descendants d'immigrants. J'aimerais bien qu'on s'en souvienne plus souvent. Après tout, «je me souviens» trône sur tes plaques d'immatriculation...


            Toi, mon beau Québec d'aujourd'hui, tu es plus versatile qu'une petite robe noire classique. Tu peux être autant sirop d'érable que pupusa salvadorienne et tacos de tinga, autant pomme McIntosh que guacamole, ou spaghetti à la bolonaise et pâté à la viande. Tu es à la fois un cidre de glace, une bière artisanale et un vin de l'Île d'Orléans. Une assiette de crabe des neiges dégusté nature, un tartare de saumon, des crevettes de Matane pêchées à Sept-Îles, un rack de côtes levées sauce barbecue ou un magret de canard du Lac Brome. Tu es un délicieux cheddar fort, un bleu de l'Abbaye de Saint-Benoît-du-Lac, ou du fromage en grains de la Fromagerie des Basques. Tu goûtes bon, mon Québec. Tu me fais saliver comme si j'étais un Saint-Bernard. Et Dieu seul sait qu'un Saint-Bernard, ça bave en grand. J'ai beau avoir beaucoup voyagé tout autour du monde, ni les tacos al pastor ni le foul et les falafels, ni le nasi goreng ni le laap moo ni le poulet au beurre ne réussissent à noyer mon envie d'une bonne grosse (et grasse) poutine sauce barbecue extra fromage. Et même si navré, tu penses en ce moment que de tout ce que tu as à offrir, je choisis de la junk food en tout premier, je te réponds que tous les goûts sont dans la nature, et que rien ne peut battre une bonne sauce maison, des frites croustillantes et du fromage qui fait «kwick kwick» sous la dent. Ça et un gros verre de lait avec un morceau de pudding chômeur à l'érable.


            Cher Québec, tu es un quart de poulet poitrine avec salade traditionnelle de chez St-Hubert. Tu es le lilas de juin et les hydrangées d'août. Tu es une chanson nasillarde de Céline Dion. Tu es une carotte-rotte-rotte. Un colibri, un raton-laveur et une marmotte. La maudite dernière tempête, celle de Pâques, juste après celle de la Saint-Patrick. Tu es une assiette de deux œufs bacon extra sirop d'érable avec des toasts de pain de ménage. Tu es le chalet sur le bord du lac, le chevreuil qui court sur l'autoroute en sens inverse et qui fait tant peur à mon amie Mélanie, le gars qui passe la tondeuse en bedaine pour bronzer un peu, le violon d'Angèle Dubeau, la soupe pho de Madame Nguyen, le but refusé d'Alain Côté (il était bon, by the way), mes deux carlins qui ronflent pénards sur le canapé, la confiture de petites fraises sauvages de ma grand-maman, un Pepsi ben frette (pas un Coke, là. Un Pepsi.), les moustiques obèses, le vent du nord, une victoire des filles à la Fureur, un épisode de La P'tite Vie, Donalda et ses galettes au sarrasin, un but de Nacho Piatti, l'inoubliable «Vivre le Québec libre!» de Charles de Gaulle. C'est surtout mon premier pied à terre de citoyenne du monde. Ici, c'est chez moi. Et entre neige et moustiques, vous être cordialement invités. 


            Oui, bonne Fête avec un F majuscule, Québec, et bonne Fête aux Québécois. À ceux qui sont nés ici, ceux qui sont nés ailleurs mais qui ont choisi notre petit bout de carte du monde pour nicher. Bonne fête aux typiques, aux marginaux, aux amateurs de sirop d'érable et aux fans de couscous. Je nous souhaite à tous plus de tolérance, plus de respect pour notre nature, notre environnement, plus d'échine, plus d'amour brut, plus de générosité et plus de rires honnêtes car oui, cher Québec, c'est tout ça et bien plus encore que ça prendra pour faire face au monde endiablé de ce siècle-ci. Je ne nous souhaite pas un pays, non, car ce pays, il doit être défriché en nous-mêmes bien avant d'être sur la mappemonde. À nous de mettre assez d'ardeur à la tâche pour que cet espace soit magnifique, grandiose, incommensurable, de par nos décisions, de par notre «agir», et de par notre capacité à être debout, croche peut-être mais bien ancré, y rester longtemps, voir haut, voir grand.


            Québec, je t'aime à la folie, mon «snoreau».


| par La vie est un piment

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