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Ma meilleure vie


«Je vis mon désir de vivre.» (Miguel de Cervantès)


Si l’être humain est comme un chat et possède neuf vies, je suis probablement en train de vivre ma meilleure d’entre elles. Non pas qu’elle soit sans failles, sans déceptions, sans embuches et sans échecs. Bien au contraire, je me heurte au quotidien à des décisions difficiles, voire déchirantes. Je suis stressée. Je manque de patience. Ma maison est un perpétuel projet qui avance à pas de tortue. Je n’ai pas encore d’enfant et mon horloge biologique va en décompte inversé. Je n’ai pas de permis de conduire. Parfois, je dépense beaucoup et je dois réparer. Je parle trop (Parce que comme on dit, la culture, c’est comme de la confiture. Plus on en a, plus on l’étale, mais ça plait quand-même aux bibittes à sucre.). Bref, je ne suis pas une superhéroïne ayant des pouvoirs magiques me permettant d’éclipser les aléas de la vie avant qu’ils ne déteignent sur mon quotidien. Je ne suis qu’un simple petit bout de femme parfaitement imparfait suivant ma route sans trop vouloir savoir où elle me mènera.


Pourquoi cette vie serait-elle ma meilleure, en fait? Parce que j’ai ce sentiment permanent d’être chanceuse. Je me dis qu’outre mes sinusites à répétition, j’ai une excellente santé. Je n’ai ni mal au dos ni aux genoux ni aux mains ni à l’âme et je touche du bois pour que ça continue ainsi. J’ai eu une jeunesse ouatée pendant laquelle je me suis amusée. Comme une enfant. Sans préoccupations d’adulte. Sans me sentir responsable de choses pour lesquelles je n’avais pas à l’être. J’ai joué à la maîtresse d’école, j’ai fait des spectacles de «lipsync» avec les petits voisins, écrit des histoires et créé des photoromans avec des découpures du défunt catalogue Sears, eu des dizaines de correspondants à qui j’envoyais des lettres écrites sur du papier à lettre parfumé à outrance, dansé sur des vidéoclips de Madonna et de Roch Voisine, joué à l’agence de voyage, fait des claquettes, du piano, de la flûte à bec (et des récitals dans les foyers de personnes âgées avec Sœur Mariette), préparé des salades de fruits dégueulasses à mes parents pour leur faire la surprise du petit déjeuner au lit, regardé assidument Samedi jeune avec Lison la fin de semaine, puis Chop Suey et Chambre en ville les mardis soirs lorsque j’étais un peu plus grande.


Je me suis baignée à la mer, j’ai souvent eu droit à des soirées de la Saint-Jean-Baptiste organisées par papa et Mario, je suis allée voir jouer les Nordiques avec mon chandail de Mats Sundin ainsi que les Expos (oui, j'étais expositive), j’ai fait un échange étudiant en France à onze ans, puis une année complète d’école au Mexique à la fin de l’adolescence. J’ai traversé à Van Buren dans le Maine pour aller acheter de la gomme et des chips avec Claire et Brian, campé en tente sous la pluie à l’Île du Prince-Édouard (et pété une coche pour manger du PFK au lieu du Pizza Delight, mais ça, c’est une autre histoire). Je suis allée en vacances en Gaspésie deux semaines par été et une semaine par hiver, dormi dans la roulotte au fond du terrain chez Jody Lee et Kristopher, ou dans le sous-sol chez Rachel, ramassé des petites fraises des champs en haut de la montagne en face de chez grand-maman Rita. J’ai été abonnée à Filles D’Aujourd’hui. J’ai eu un sac Vuarnet, un chandail des Natchous, un t-shirt de Fido Dido et une veste de chez Cobra Jeans. J’avais une très impressionnante collection de livres du Club des Baby-Sitters (ma préférée était Sophie). Pour vivre sa meilleure vie, il faut commencer par reconnaître les plus beaux moments de son enfance.


Puis, en grandissant, on se fait une vie soi-même. On commence à prendre ses propres décisions. Là, c’est crucial. Chaque décision a une influence directe sur la suite des choses, c’est ce que l’on appelle l’effet papillon. Moi, mon effet papillon s’est bien passé, et j’ai déployé mes ailes hors du cocon comme une fille qui était prédestinée à faire cela. Jeune, j’ai assumé ma voie. Ce n’est pas facile pour tout le monde de le faire. J’ai toujours su que j’étais une citoyenne du monde, ouverte et attirée par toutes les cultures incluant les multiples facettes de la mienne, et que j’avais un sens critique aiguisé, mais beaucoup de jugeote. J’ai connu un nombre raisonnable de partenaires (pas trop, juste assez). Mon premier vrai chum était Thaïlandais et s’appelait Sumeth, mais on l’appelait tous Teoi. Quand je l’ai ramené à la maison, à seize ans, j’imagine que mes parents se sont dit que ce n’était pas si surprenant de ma part. Au moment où j’ai commencé à le fréquenter, il parlait à peine le français et avait un lourd accent asiatique, mais je réussissais (on ne sait trop comment) à lui parler au téléphone des heures tout en le comprenant très bien (Il faut croire que le langage de l’amour, celui-là, on le connaissait tous les deux.). C’est beau, les amours de jeunesse. C’est pur. C’est romantique. C’est excitant.


Après le collège, je suis déménagée au Mexique pour étudier à l’université et j’y suis devenue une vraie femme. J’ai connu la pauvreté d'un peu plus près, même si je ne m’en rendais pas compte. J’avais décidé de vivre comme une adulte, mais à dix-neuf ans, on ne sait rien de la vie. Mine de rien, je me suis débrouillée, même si je n’avais pas de divan chez moi et qu’une paire de ciseaux faisait office d’antenne sur ma télé vingt pouces en noir et blanc. J’ai mangé beaucoup de salade de thon, de spaghetti avec de la purée de tomate et des tortillas avec des frijoles, et j’ai bu des litres de Kool-Aid, mais malgré tout, cette vie au Mexique est l’un de mes plus émouvants souvenirs. J’y ai tissé des amitiés comme une araignée ses toiles. Dans cette meilleure vie, j’ai développé mon aptitude à être une amie fidèle, dévouée, à l’écoute, disponible et intéressée et j’ai appliqué ces chers apprentissages depuis lors dans toutes mes amitiés véritables.


C’est ici que je commence ma longue tirade sur l’amitié et je m’en excuse d’avance (non, finalement, je ne m’en excuse pas, car elle s’avère nécessaire à cette meilleure vie, vois-tu). L’amitié, c’est comme l’amour, version platonique. C’est une flèche droit au cœur, une inclinaison incontrôlable, l’inévitable servi sur un plateau d’agent. Il n’est jamais trop tard pour tomber en amour ou en amitié. Bang! Ça fait ce bruit-là lorsque l’on s’enfarge les bottines sur quelqu’un qui était voué à faire partie de sa vie. C’est ainsi que j’ai rencontré mon mari Éric et même si j’ai tout fait pour éviter de sortir avec lui, la vie avait prévu le contraire, la coquine, et lorsque la vie veut quelque chose, sache que tu n’y peux pratiquement rien. Ce fut ainsi pour toutes les rencontres que j’ai eues avec mes meilleurs amis.


Je vis une grande histoire d'amour avec chacun d'eux. Mélanie (ma BFF) était si différente de moi que personne n’aurait parié sur la durabilité de notre amitié. On est pas mal du genre Laurel et Hardy. Pourtant, nous sommes encore les mêmes comparses aux idées folles vingt-huit ans après notre rencontre et notre complémentarité est irréprochable. Özlem, elle, est entrée dans ma vie à cause d’une lubie que j’ai eue de vouloir apprendre le turc. On s’est connues sur un défunt site web et quelques mois après, on était ensemble à assister à un show de Tarkan à Harbiye à chanter (elle) ou essayer de chanter (moi) Adımı Kalbine Yaz. Quant à Li, je l’ai connu par Instagram (ce n’est pas sa version, mais comme ce texte m’appartient, je m’en tiens à la mienne.) et il est vite devenu mon frère cosmique. À première vue, nos vies n’ont tellement rien à voir ensemble que les gens n’arrivent pas à comprendre notre drôle de duo, mais nos cœurs partagent tant de similitudes qu’on se retrouve catapultés dans un lieu magique à chaque fois que l’on partage un instant. Et Hend, j’ai fait sa connaissance fin 2008 lorsque je suis allée en Égypte (elle était mon extraordinaire guide cairote). De retour au Canada, j’ai repris contact avec elle en retrouvant son adresse courriel. Puis, nous nous sommes revues lorsqu’elle est venue me retrouver à Istanbul en 2012. Depuis, j’ai connu ses parents, ses nièces, ses amis, on voyage ensemble et on s’aime comme des sœurs de deux mères différentes.


La distance n’est plus un frein à l’amitié, de nos jours. J’en ai la preuve avec Marisela, que j’ai connue au Mexique à l’époque où j’y vivais. Nos amoureux de l’époque nous avaient présentées l’une à l’autre, et notre amitié a réussi le test des années, contrairement à nos couples. Même chose pour mon pote Roberto, que j’ai revu pour la première fois cette année après dix-huit ans. C’est là que l’on voit que Facebook ne sert pas seulement à partager des vidéos de mignons petits chats. Les réseaux sociaux sont des agents facilitateurs pour créer et garder le contact. Par exemple, Lizzy et Chan avec qui je fais la pluie et le beau temps, je les ai connus via une communauté Twitter de soccer. Après, il faut concrétiser le tout, et c’est la portion où je réussis bien. L’amitié, c’est une deuxième famille, celle que l’on se choisit, celle qui ne vient pas par défaut. Chaque amitié réelle est basée sur un coup de foudre du hasard. On se reconnaît en même temps parmi sept milliards d’humains sur Terre. N’est-ce pas fascinant?


Dans ma meilleure vie, je dors sur une banquette dans un aéroport bruyant sans en faire de cas, trop excitée de partir à l’aventure. Je placote avec un chauffeur de Uber à México qui me raconte être un compétiteur de lucha libre le soir et les week-ends. Je passe une fin de semaine all by myself à Montréal où je dîne avec une amie dans ce nouveau bar à cocktails, où j’assiste au meilleur match de soccer de l’année au Stade Saputo après avoir pris une Chipie avec David, où je déguste une brioche de chez Olive et Gourmando assise à l’ombre d’un arbre sur un banc au Square Victoria, où je vous écris ce texte, inspirée, dans une chambre d’hôtel du centre-ville. Je lis un chapitre de la biographie de Corneille, achetée il y a deux ans, en prenant un bain moussant trop chaud. Je bois un thé vert au lait, une cannette d’eau de coco, un soda au tamarin ou du kombucha melon-lavande en faisant fi de ceux qui trouvent ça bizarre. Je fais des gnocchis à la ricotta, aussi légers que des petits nuages. Je passe des moments mémorables avec mes nièces Emy et Alexane. Je regarde District 31 avec mes deux carlins amoncelés sur mes cuisses.


Cette meilleure vie, c’est aussi aimer son travail malgré le stress, la charge mentale et l’absence de routine. C’est une coupe glacée au beurre d’érable des Bienfaits, un tartare de saumon de La Réserve ou une poutine aux cinq poivres extra fromage de la Cantine de la Gare. C’est se prendre en photo dans le plus petit parc au monde à Portland, manger des amandes fraîches directement cueillies d’un amandier sur l’île d’Akdamar, faire une ride de cinq heures en dolmuş de Hasankeyf à Van avec les Vengaboys qui jouent dans le tapis. C’est sauter dans une crique limpide à San Carlos et nager avec les pélicans. C’est le parc de la Gaspésie. Frapper sur un punching bag avec mes gants à fleurs rose au club de boxe de Pierre. Mon lit. Un duo entre Loud et Charlotte Cardin. La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Des feux d’artifices. Une victoire de Marie-Ève Dicaire. Un t-shirt arborant l’inscription «Gluten is the new Al-Qaeda», «Be your own sugar daddy», «Raised on champagne» ou «I don’t do winter». Manger coréen avec des Hongrois en Islande. Être une fausse rousse. Écrire. Continuer d’utiliser un Ipod Classic quand j’ai un cellulaire dernier cri.


Toi, vis-tu ta meilleure vie ? Sinon, qu’est-ce que tu attends ?



| par La vie est un piment

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